Platon, Critias

Le Critias qui parle ici est le grand-père du Critias, disciple de Socrate, qui fut l’un des plus sanguinaires des Trente en 404-403.

L’Athènes antique

Critias rapporte ici un récit qu’un ancien prêtre égyptien fit à Solon : 9 000 ans avant celui-ci, à l’époque des premiers rois « autochtones » (Cécrops, Érichthonios…) avait existé une Athènes antique, prospère et vertueuse ; celle-ci, après avoir vaincu l’Atlantide, fut engloutie en même temps que celle-ci dans un mystérieux cataclysme.

Τὸ δ᾽ ἄστυ κατῳκισμένον ὧδ᾽ ἦν ἐν τῷ τότε χρόνῳ. πρῶτον μὲν τὸ τῆς ἀκροπόλεως εἶχε τότε οὐχ ὡς τὰ νῦν ἔχει. Νῦν μὲν γὰρ μία γενομένη νὺξ ὑγρὰ διαφερόντως γῆς αὐτὴν ψιλὴν περιτήξασα πεποίηκε, σεισμῶν ἅμα καὶ πρὸ τῆς ἐπὶ Δευκαλίωνος φθορᾶς τρίτου πρότερον ὕδατος ἐξαισίου γενομένου· τὸ δὲ πρὶν ἐν ἑτέρῳ χρόνῳ μέγεθος μὲν ἦν πρὸς τὸν Ἠριδανὸν καὶ τὸν Ἰλισὸν ἀποβεβηκυῖα καὶ περιειληφυῖα ἐντὸς τὴν Πύκνα καὶ τὸν Λυκαβηττὸν ὅρον ἐκ τοῦ καταντικρὺ τῆς Πυκνὸς ἔχουσα, γεώδης δ᾽ ἦν πᾶσα καὶ πλὴν ὀλίγον ἐπίπεδος ἄνωθεν. Ὠικεῖτο δὲ τὰ μὲν ἔξωθεν, ὑπ᾽ αὐτὰ τὰ πλάγια αὐτῆς, ὑπὸ τῶν δημιουργῶν καὶ τῶν γεωργῶν ὅσοι πλησίον ἐγεώργουν· τὰ δ᾽ ἐπάνω τὸ μάχιμον αὐτὸ καθ᾽ αὑτὸ μόνον γένος περὶ τὸ τῆς Ἀθηνᾶς Ἡφαίστου τε ἱερὸν κατῳκήκειν, οἷον μιᾶς οἰκίας κῆπον ἑνὶ περιβόλῳ προσπεριβεβλημένοι. Τὰ γὰρ πρόσβορρα αὐτῆς ᾤκουν οἰκίας κοινὰς καὶ συσσίτια χειμερινὰ κατασκευασάμενοι, καὶ πάντα ὅσα πρέποντ᾽ ἦν τῇ κοινῇ πολιτείᾳ δι᾽ οἰκοδομήσεων ὑπάρχειν αὐτῶν καὶ τῶν ἱερῶν, ἄνευ χρυσοῦ καὶ ἀργύρου – τούτοις γὰρ οὐδὲν οὐδαμόσε προσεχρῶντο, ἀλλὰ τὸ μέσον ὑπερηφανίας καὶ ἀνελευθερίας μεταδιώκοντες κοσμίας ᾠκοδομοῦντο οἰκήσεις, ἐν αἷς αὐτοί τε καὶ ἐκγόνων ἔκγονοι καταγηρῶντες ἄλλοις ὁμοίοις τὰς αὐτὰς ἀεὶ παρεδίδοσαν – τὰ δὲ πρὸς νότου, κήπους καὶ γυμνάσια συσσίτιά τε ἀνέντες οἷα θέρους, κατεχρῶντο ἐπὶ ταῦτα αὐτοῖς. Κρήνη δ᾽ ἦν μία κατὰ τὸν τῆς νῦν ἀκροπόλεως τόπον, ἧς ἀποσβεσθείσης ὑπὸ τῶν σεισμῶν τὰ νῦν νάματα μικρὰ κύκλῳ καταλέλειπται, τοῖς δὲ τότε πᾶσιν παρεῖχεν ἄφθονον ῥεῦμα, εὐκρὰς οὖσα πρὸς χειμῶνά τε καὶ θέρος. Τούτῳ δὴ κατῴκουν τῷ σχήματι, τῶν μὲν αὑτῶν πολιτῶν φύλακες, τῶν δὲ ἄλλων Ἑλλήνων ἡγεμόνες ἑκόντων, πλῆθος δὲ διαφυλάττοντες ὅτι μάλιστα ταὐτὸν αὑτῶν εἶναι πρὸς τὸν ἀεὶ χρόνον ἀνδρῶν καὶ γυναικῶν, τὸ δυνατὸν πολεμεῖν ἤδη καὶ τὸ ἔτι, περὶ δύο μάλιστα ὄντας μυριάδας.

Οὗτοι μὲν οὖν δὴ τοιοῦτοί τε ὄντες αὐτοὶ καί τινα τοιοῦτον ἀεὶ τρόπον τήν τε αὑτῶν καὶ τὴν Ἑλλάδα δίκῃ διοικοῦντες, ἐπὶ πᾶσαν Εὐρώπην καὶ Ἀσίαν κατά τε σωμάτων κάλλη καὶ κατὰ τὴν τῶν ψυχῶν παντοίαν ἀρετὴν ἐλλόγιμοί τε ἦσαν καὶ ὀνομαστότατοι πάντων τῶν τότε.

Platon, Critias, 112 a-e

Traduction : Quant à la ville, voici comme elle était peuplée en ce temps-là. En premier lieu, la partie où est l’Acropole n’était nullement telle qu’elle est aujourd’hui. En effet, une seule nuit de déluge fit fondre autour toute la terre et laissa cette partie entièrement dénudée. Car il y eut à la fois des tremblements de terre et un déluge, qui fut le troisième, avant la catastrophe de Deucalion. Mais, antérieurement, en un autre temps, l’Acropole était si vaste, qu’elle s’étendait jusqu’à l’Éridan et à l’Ilissos, qu’elle comprenait la Pnyx, et qu’à l’opposé de la Pnyx elle était limitée par le mont Lycabette. Elle était entièrement garnie de terre et, sauf un petit nombre de places, elle formait une plaine à son sommet. La périphérie et les pentes mêmes de l’Acropole étaient habitées par les artisans et les agriculteurs, qui cultivaient les champs à l’entour. Mais, la partie supérieure, les guerriers seuls, séparés du reste, l’occupaient, autout du sanctuaire d’Athéna et d’Héphaïstos. Ils avaient jeté autour d’elle une enceinte unique, comme autour du parc d’une seule demeure. Ils en habitaient la partie exposée au Nord, en des logements communs ; ils y avaient aménagé des réfectoires pour l’hiver. Et tout ce qui convenait à la vie commune soit en fait d’habitations particulières, soit en fait de sanctuaires, ils l’avaient (hormis toutefois l’or et l’argent, dont ils ne faisaient aucunement usage). Visant à rester à égale distance de l’excessive abondance et d’une servile pauvreté, ils habitaient des demeures gracieuses où ils vieillissaient, eux, leurs enfants et leurs petits- enfants : ils les transmettaient, toujours les mêmes, à d’autres semblables à eux. La partie de l’Acropole exposée au Sud, ils l’utilisaient pour y aménager des jardins, des gymnases et des réfectoires, qu’ils abandonnaient pendant la saison chaude. Il y avait une source unique sur l’emplacement actuel de l’Acropole ; elle a été tarie par les tremblements de terre et il n’en reste plus que des ruisselets disposés en rond. Mais, en ce temps-là, elle donnait à tous une eau généreuse, également saine en hiver et en été. Telle était la vie de ces hommes qui étaient à la fois les gardiens de leurs concitoyens et les chefs librement acceptés par les autres Hellènes. Ils veillaient à ce que, parmi eux, le nombre des femmes et des hommes capables déjà de porter les armes, ou qui l’étaient encore, fût en tout temps le même, autant que possible, environ vingt mille, au maximum.

Tels étaient ces hommes, et c’est de cette manière constamment invariable qu’ils administrèrent, toujours selon la justice, et leur cité et la Grèce. Dans toute l’Europe et dans toute l’Asie, ils étaient renommés pour la beauté de leurs corps et pour toutes les vertus de leurs âmes, et c’étaient les plus illustres de tous les hommes d’alors.