Philosophe pré-socratique, qui s’est illustré par son obscurité (« clarus ob obscuram linguam […] inter inanis« , dit malicieusement Lucrèce (I, 639), ce qu’on peut traduire par « illustre par son langage obscur auprès des imbéciles » !), et dont il ne reste que des fragments.
Biographie
Né à Éphèse vers 550, (ou 540 ?), il descend d’une famille illustre, peut-être même princière : une légende rapportée par Diogène Laëerce (IX, 1-17) rapporte qu’il aurait renoncé au titre royal en faveur de son frère, pour se consacrer à la philosophie, mais qu’il aurait gardé de ses origines une haine si féroce de la démocratie qu’il aurait refusé aux Éphésiens de rédiger une constitution pour leur cité – on comprend pourquoi il a fasciné Platon, autre anti-démocrate notoire…
Il aurait écrit un ouvrage en prose, intitulé Muses ou De la Nature (Lucrèce y fait allusion, I, 657), divisé en trois parties (λόγοι) : le Tout, le Politique et le Théologique ; le tout en une forme aphoristique et obscure, afin que la multitude ne puisse le comprendre ; et pour plus de précaution, il l’aurait enfermé dans le temple d’Artémis.
Méprisant souverainement ses devanciers, notamment Hésiode et Pythagore, dont le savoir est, dit-il, superficiel, il décrit la connaissance comme « un effort de prise de distance critique qui doit dépasser la vision partielle et unilatérale des choses ». (Leclant, op. cit)
Continuant la tradition des physiologues ioniens qui expliquaient l’univers par des principes physiques, Héraclite identifie le principe de toutes les choses avec le feu, et affirme l’éternité de l’univers. « Toutes choses sont convertibles en feu, et le feu en toutes choses » (cité par Plutarque, Sur le Ε de Delphes) : comme le feu, il n’a ni commencement ni fin – une doctrine qui a dû surprendre ses contemporains, les philosophes s’étant attachés jusque là à rechercher l’origine de l’univers. Lucrèce parviendra à concilier ces deux thèses : les atomes sont infinis, l’univers est illimité, mais notre monde est, lui, fini, et soumis à l’entropie.
Héraclite a aussi réfléchi sur l’âme (une sorte de vapeur, qui se nourrit d’exhalaisons du corps, change perpétuellement, mais garde son identité, comme le fleuve qui coule mais demeure le même), sur l’éthique (les lois des cités sont l’émanation de la loi divine), et les conditions de la connaissance : l’homme n’a pas d’autre moyen d’accéder à la connaissance que les sens, mais ceux-ci sont trompeurs, et la nature aime bien se cacher aux hommes.
Mais sa doctrine la plus connue reste celle de l’écoulement perpétuel de toute chose, synthétisée par Platon dans la formule « πάντα ῥεῖ » (tout coule), ou encore « πάντα χωρεῖ καὶ οὐδὲν μένει » (tout passe et rien ne demeure, Platon, Cratyle, 402a) et que l’on retrouve dans les « fragments du fleuve ». Ce qui l’amène à l’autre grande thèse qui fait sa gloire : la coexistence des opposés (puisque le point de départ et le point d’arrivée du changement sont des opposés) : sommeil / veille, vie / mort… en même temps que leur non-conciliation. « Et comme même chose il y a en nous et la vie et la mort, et l’éveil et le sommeil, et la jeunesse et la vieillesse : car ces choses en se transformant sont celles-là, et celles-là à nouveau deviennent celles-ci ». Héraclite en conclut à une unité dynamique des contraires, une guerre permanente qui existe partout dans la nature, et qui constitue son mouvement même. La nuit et le jour constituent un seul et même phénomène, le début et la fin d’un cercle se confondent, et le chemin qui monte est le même que celui qui descend. L’opposition des contraires se résout en une unité fondamentale qui s’identifie au feu divin.
Bibliographie
- Les Présocratiques, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard 1988, pp.129-187.
- Leclant Jean et alii, Dictionnaire de l’Antiquité, art. « Héraclite d’Ephèse », p. 1042-1044
- Canto-Sperber Monique et alii, Philosophie grecque, Presses Universitaires de France, Coll. « Premier cycle », 1997, pp. 25-31, 76-84 (un exemple de critique des sources).