Euripide, « Hippolyte »

« C’est toi qui l’as nommé… » (vers 336-360)

Phèdre dépérit dans son palais, sans que personne comprenne pourquoi. Sa nourrice va lui extorquer le terrible aveu…

(Τροφός) Σιγῷμ’ ἂν ἤδη· σὸς γὰρ οὑντεῦθεν λόγος.
(Φαίδρα) Ὦ τλῆμον, οἷον, μῆτερ, ἠράσθης ἔρον.
(Τροφός) Ὃν ἔσχε ταύρου, τέκνον, ἢ τί φῂς τόδε;
(Φαίδρα) Σύ τ’, ὦ τάλαιν’ ὅμαιμε, Διονύσου δάμαρ.
(Τροφός) Τέκνον, τί πάσχεις; Συγγόνους κακορροθεῖς;
(Φαίδρα) Τρίτη δ’ ἐγὼ δύστηνος ὡς ἀπόλλυμαι.
(Τροφός) Ἔκ τοι πέπληγμαι· ποῖ προβήσεται λόγος;
(Φαίδρα) Ἐκεῖθεν ἡμεῖς, οὐ νεωστί, δυστυχεῖς.
(Τροφός) Οὐδέν τι μᾶλλον οἶδ’ ἃ βούλομαι κλύειν.
(Φαίδρα) Φεῦ· πῶς ἂν σύ μοι λέξειας ἁμὲ χρὴ λέγειν;
(Τροφός) Οὐ μάντις εἰμὶ τἀφανῆ γνῶναι σαφῶς.
(Φαίδρα) Τί τοῦθ’ ὃ δὴ λέγουσιν ἀνθρώπους ἐρᾶν;
(Τροφός) Ἥδιστον, ὦ παῖ, ταὐτὸν ἀλγεινόν θ’ ἅμα.
(Φαίδρα) Ἡμεῖς ἂν εἶμεν θατέρῳ κεχρημένοι.
(Τροφός) Τί φῄς; Ἐρᾷς, ὦ τέκνον; Ἀνθρώπων τίνος;
(Φαίδρα) Ὅστις ποθ’ οὗτός ἐσθ’, ὁ τῆς Ἀμαζόνος…
(Τροφός) Ἱππόλυτον αὐδᾷς;
(Φαίδρα) Σοῦ τάδ’, οὐκ ἐμοῦ κλύεις.
(Τροφός) Οἴμοι, τί λέξεις, τέκνον; Ὥς μ’ ἀπώλεσας.
Γυναῖκες, οὐκ ἀνασχέτ’, οὐκ ἀνέξομαι
ζῶσ’· ἐχθρὸν ἦμαρ, ἐχθρὸν εἰσορῶ φάος.
Ῥίψω μεθήσω σῶμ’, ἀπαλλαχθήσομαι
βίου θανοῦσα· χαίρετ’, οὐκέτ’ εἴμ’ ἐγώ.
Οἱ σώφρονες γάρ, οὐχ ἑκόντες ἀλλ’ ὅμως,
κακῶν ἐρῶσι. Κύπρις οὐκ ἄρ’ ἦν θεός,
(360) ἀλλ’ εἴ τι μεῖζον ἄλλο γίγνεται θεοῦ,
ἣ τήνδε κἀμὲ καὶ δόμους ἀπώλεσεν.
La nourrice : Que je me taise désormais ; c’est ton tour de parler
Phèdre :Ô malheureuse mère, de quel amour fus-tu aimée !
N : celui qu’elle eut d’un taureau, ma fille, ou que veux-tu dire ?
P : Et toi, ma pauvre sœur, épouse de Dionysos.
N : Mon enfant, quel est ton mal ? tu insultes tes parents ?
P : Et moi la troisième, malheureuse, je suis perdue.
N : Je suis frappée de stupeur ! À quoi tend ton discours ?
P : C’est de là que vient notre malheur, il n’est pas nouveau.
N : Je n’en sais pas plus sur ce que je veux entendre.
P : Hélas ! Que ne peux-tu formuler ce que je dois dire ?
N : Je ne suis pas devin pour lire clairement les choses obscures.
P : Qu’est ce que l’on dit être l’amour humain ?
N : C’est quelque chose de très agréable, ma fille, et en même temps douloureux.
P : Nous, nous n’en avons connu que le mauvais côté.
N : Que dis-tu ? tu aimes, mon enfant ? Quel être humain ?
P : Celui qui, le fils de l’Amazone…
N : Tu veux dire Hippolyte ?
P : C’est toi, et non moi, qui l’as nommé.
N : Hélas, que vas-tu dire, mon enfant ? Tu m’as perdue. Femmes, je ne supporterai pas vivante l’insupportable ; Jour ennemie, ennemie la lumière que je vois. Je précipiterai, je jetterai mon corps, je me délivrerai de la vie par la mort. Adieu ! Moi je n’existe plus. En effet même les gens raisonnables, malgré eux pourtant, aiment qui il ne faut pas. Cypris n’était pas une déesse, mais s’il est possible quelque chose de plus grand qu’une déesse, elle qui a causé la perte de cette femme, la mienne, et celle de la maison.

On peut comparer ce passage au texte de Racine (Phèdre, Acte I, scène 3) :

ŒNONE
Madame, au nom des pleurs que pour vous j’ai versés,
Par vos faibles genoux que je tiens embrassés,
Délivrez mon esprit de ce funeste doute.
PHÈDRE
Tu le veux ? lève-toi.
ŒNONE
Parlez : je vous écoute.
PHÈDRE
Ciel ! que lui vais-je dire ? et par où commencer ?
ŒNONE
Par de vaines frayeurs cessez de m’offenser.
PHÈDRE
Ô haine de Vénus ! Ô fatale colère !
Dans quels égarements l’amour jeta ma mère !
ŒNONE
Oublions-les, madame ; et qu’à tout l’avenir
Un silence éternel cache ce souvenir.
PHÈDRE
Ariane, ma sœur ! de quel amour blessée
Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée !
ŒNONE
Que faites-vous, madame ? et quel mortel ennui
Contre tout votre sang vous anime aujourd’hui ?
PHÈDRE
Puisque Vénus le veut, de ce sang déplorable
Je péris la dernière et la plus misérable.
ŒNONE
Aimez-vous ?
PHÈDRE
De l’amour j’ai toutes les fureurs.
ŒNONE
Pour qui ?
PHÈDRE
Tu vas ouïr le comble des horreurs…
J’aime… À ce nom fatal, je tremble, je frissonne.
J’aime…
ŒNONE
Qui ?
PHÈDRE
Tu connais ce fils de l’Amazone,
Ce prince si longtemps par moi-même opprimé…
ŒNONE
Hippolyte ? Grands dieux !
PHÈDRE
C’est toi qui l’as nommé !
ŒNONE
Juste ciel ! tout mon sang dans mes veines se glace !
Ô désespoir ! ô crime ! ô déplorable race !
Voyage infortuné ! Rivage malheureux,
Fallait-il approcher de tes bords dangereux !