Socrate dans son panier – Joannes Sambucus, 1564
Texte 1 : vers 75-118.
Pour échapper à ses créanciers, Strepsiade veut envoyer son fils Phidippide apprendre de Socrate l’art de faire triompher la mauvaise cause.
Στρεψιάδης Νῦν οὖν ὅλην τὴν νύκτα φροντίζων ὁδοῦ μίαν ηὗρον ἀτραπὸν δαιμονίως ὑπερφυᾶ, ἣν ἢν ἀναπείσω τουτονί, σωθήσομαι. Ἀλλ᾿ ἐξεγεῖραι πρῶτον αὐτὸν βούλομαι. Πῶς δῆτ᾿ ἂν ἥδιστ᾿ αὐτὸν ἐπεγείραιμι ; Πῶς ; Φειδιππίδη, Φειδιππίδιον. Φειδιππίδης Τί, ὦ πάτερ ; Στρεψιάδης Κύσον με καὶ τὴν χεῖρα δὸς τὴν δεξιάν. Φειδιππίδης ἰδού. Τί ἐστιν ; Στρεψιάδης Εἰπέ μοι, φιλεῖς ἐμέ ; Φειδιππίδης Νὴ τὸν Ποσειδῶ τουτονὶ τὸν ἵππιον. Στρεψιάδης Μή μοι γε τοῦτον μηδαμῶς τὸν ἵππιον· οὗτος γὰρ ὁ θεὸς αἴτιός μοι τῶν κακῶν. Ἀλλ᾿ εἴπερ ἐκ τῆς καρδίας μ᾿ ὄντως φιλεῖς, ὦ παῖ πιθοῦ. Φειδιππίδης Τί οὖν πίθωμαι δῆτά σοι ; Στρεψιάδης Ἔκτρεψον ὡς τάχιστα τοὺς σαυτοῦ τρόπους καὶ μάνθαν’ ἐλθὼν ἃν ἐγὼ παραινέσω. Φειδιππίδης Λέγε δή, τί κελεύεις ; Στρεψιάδης Καί τι πείσει ; Φειδιππίδης Πείσομαι, νὴ τὸν Διόνυσον. Στρεψιάδης Δεῦρό νυν ἀπόβλεπε. Ὁρᾷς τὸ θύριον τοῦτο καὶ τοἰκίδιον ; Φειδιππίδης Ὁρῶ. Τί οὖν τοῦτ᾿ ἐστὶν ἐτεόν, ὦ πάτερ ; Στρεψιάδης Ψυχῶν σοφῶν τοῦτ᾿ ἐστὶ φροντιστήριον. Ἐνταῦθ᾿ ἐνοικοῦσ᾿ ἄνδρες οἳ τὸν οὐρανὸν λέγοντες ἀναπείθουσιν ὡς ἔστιν πνιγεύς, κἄστιν περὶ ἡμᾶς οὗτος, ἡμεῖς δ’ἄνθρακες. Οὗτοι διδάσκουσ᾿, ἀργύριον ἤν τις διδῷ, λέγοντα νικᾶν καὶ δίκαια κἄδικα. Φειδιππίδης Εἰσὶν δὲ τίνες ; Στρεψιάδης Οὐκ οἶδ᾿ ἀκριβῶς τοὔνομα. Μεριμνοφροντισταὶ καλοί τε κἀγαθοί. Φειδιππίδης Αἰβοῖ, πονηροί γ᾿, οἶδα. Τοὺς ἀλαζόνας, τοὺς ὠχριῶντας τοὺς ἀνυποδήτους λέγεις, ὧν ὁ κακοδαίμων Σωκράτης καὶ Χαιρεφῶν. Στρεψιάδης Ἤ ἤ, σιώπα. Μηδὲν εἴπῃς νήπιον. Ἀλλ᾿ εἴ τι κήδει τῶν πατρῴων ἀλφίτων, τούτων γενοῦ μοι σχασάμενος τὴν ἱππικήν. Φειδιππίδης Οὐκ ἂν μὰ τὸν Διόνυσον εἰ δοίης γέ μοι τοὺς φασιανοὺς οὓς τρέφει Λεωγόρας. Στρεψιάδης Ἴθ᾿, ἀντιβολῶ σ᾿, ὦ φίλτατ᾿ ἀνθρώπων ἐμοί, ἐλθὼν διδάσκου. Φειδιππίδης Καὶ τί σοι μαθήσομαι ; Στρεψιάδης Εἶναι παρ᾿ αὐτοῖς φασὶν ἄμφω τὼ λόγω, τὸν κρείττον’, ὅστις ἐστί, καὶ τὸν ἥττονα. Τούτοιν τὸν ἕτερον τοῖν λόγοιν, τὸν ἥττονα, νικᾶν λέγοντά φασι τἀδικώτερα. Ἤν οὖν μάθῃς μοι τὸν ἄδικον τοῦτον λόγον, ἃ νῦν ὀφείλω διὰ σέ, τούτων τῶν χρεῶν οὐκ ἂν ἀποδοίην οὐδ’ἂν ὀβολὸν οὐδενί. |
Maintenant, durant cette nuit, à force d’y songer, j’ai trouvé un expédient merveilleux qui, si je puis le convaincre, sera pour moi le salut. Mais je veux d’abord l’éveiller. Seulement, comment l’éveiller le plus doucement possible ? Comment ? Philippide, mon petit Philippide ! PHILIPPIDE. Quoi, mon père ? STREPSIADE. Un baiser, et donne-moi la main. PHILIPPIDE. Voici. Qu’y a-t-il ? STREPSIADE. Dis-moi, m’aimes-tu ? PHILIPPIDE. J’en jure par Poseidon, dieu des chevaux ! STREPSIADE. Non, non, pas de ce dieu des chevaux ! C’est lui qui est la cause de mes malheurs. Mais si tu m’aimes réellement et de tout cœur, ô mon enfant, suis mon conseil. PHILIPPIDE. Et en quoi faut-il que je suive ton conseil ? STREPSIADE. Change au plus tôt de conduite, et va prendre des leçons où je t’indiquerai. PHILIPPIDE. Parle, qu’ordonnes-tu ? STREPSIADE. Et tu obéiras? PHILIPPIDE. J’obéirai, j’en jure par Dionysos. STREPSIADE. Regarde de ce côté. Vois-tu cette petite porte et cette petite maison ? PHILIPPIDE. Je les vois; mais, mon père, qu’est-ce que cela veut dire ? STREPSIADE. C’est le philosophoir des âmes sages. Là sont logés des hommes qui disent et démontrent que le ciel est un étouffoir, dont nous sommes entourés, et nous, des charbons. Ils enseignent, si on leur donne de l’argent, à gagner les causes justes ou injustes. PHILIPPIDE. Qui sont-ils ? STREPSIADE. Je ne sais pas exactement leur nom. Ce sont de profonds penseurs, beaux et bons. PHILIPPIDE. Ah! oui, les misérables, je les connais. Ce sont des charlatans, des hommes pâles, des va-nu-pieds, que tu veux dire, et, parmi eux, ce maudit Socrate et Chéréphon. STREPSIADE. Hé ! hé ! tais-toi! ne dis pas de bêtises. Si tu as souci des orges paternelles, deviens l’un d’eux, et lâche-moi l’équitation. PHILIPPIDE. Oh ! non, par Dionysos ! quand tu me donnerais les faisans que nourrit Léogoras. STREPSIADE. Vas-y, je t’en supplie, ô toi, l’homme le plus cher à mon cœur. Entre à leur école. PHILIPPIDE. Et qu’est-ce que je t’y apprendrai ? STREPSIADE. Ils disent qu’il y a deux raisonnements : le supérieur et l’inférieur. Ils prétendent que, par le moyen de l’un de ces deux raisonnements, c’est-à-dire de l’inférieur, on gagne les causes injustes. Si donc tu m’y apprenais ce raisonnement injuste, de toutes les dettes que j’ai contractées pour toi, je ne paierais une obole à personne. |
Texte 2 : vers 476-509.
- 476-477 : ἐγχειρει, διακίνει, ἀποπειρῶ sont des impératifs, actifs et moyen.
- 479 : μηχανὰς καινὰς προσφέρω signifie à la fois « approcher de nouvelles machines de siège » et « appliquer de nouveaux moyens » : image banale, mais intraduisible.
- 481 : τειχομαχεῖν : donner l’assaut, attaquer des ouvrages de défense. Strepsiade prend les mots au pied de la lettre, ce qui permet à Aristophane une métaphore filée comique.
- 485 : ἐπιλήσμων, ων, ον : oublieux
- 487 : ἔνι = ἔνεστι (forme contracte) : il est au pouvoir de ; ἀποστερέω-ῶ : dépouiller. Mais par mécoupure, ἀποστ-ερῶ (futur de λέγω) !
- 489 : προβάλλω signifie à la fois «jeter de la nourriture à un animal » et « avancer une proposition ».
- 491 : κυνηδόν = adverbe : «comme un chien »
- 495 : ἐπισχών : ayant attendu
Commentaire
Quatre termes désignent Strepsiade : πρεσβύτης, ἄνθρωπος ἀμαθὴς καὶ βάρβαρος, πρεσβύτης : c’est un vieillard ignorant, un élève peu doué et trop âgé, déplacé ici. D’où l’interrogation de Socrate v. 488 : « comment pourras-tu apprendre ? » (sans doute une réserve plus qu’une vraie question), et le constat v. 492-93 : « homme ignorant et barbare ». Et cela annonce le mouvement de balancier présidant à l’ensemble des scènes qui vont opposer le maître à l’élève : une série de tentatives ponctuées d’échecs.
Premier mouvement : opposition μανθάνω / προδιδάσκω, termes appartenant au champ lexical des capacités intellectuelles. Rythme rapide de l’échange. Cf. enchaînement des vers par des jeux de mots (μηχανὰς / τειχομαχεῖν), segmentation et dislocation du trimètre (v. 483-488-494) : grande rapidité. C’est Socrate qui mène le jeu : il ouvre le dialogue et en garde l’initiative tout au long de ce mouvement. Nombreux impératifs adressés à Strepsiade, et formes interrogatives (483, 486, 488, 494). Strepsiade, lui, ne fait que répondre (483, 487, 488) ou réagir (481, 491). L’impératif utilisé par Strepsiade (Ἀμέλει) est une expression figée qui a perdu sa valeur modale (= « cool ») et ses deux seules interrogations (τί δέ, τί δαί) relèvent plutôt de l’exclamation.
Progression du dialogue par étapes soulignées par l’emploi d’un même mot. Chiasme et symétrie syntaxique des deux hémistiches des v. 486-487.