Anacréon (VIème siècle av. J-C)

Anacréon de Téos, en Ionie (fin du VIème siècle), vécut à Samos sous le tyran Polycrate, et vint à Athènes appelé par Hipparque. Il est l’auteur de petits poèmes ou de chansons, souvent imitées jusqu’à l’époque byzantine.

La vieillesse

Πολιοὶ μὲν ἡμῖν ἤδη
κρόταφοι κάρη τε λευκόν,
χαρίεσσα δ’οὐκέτ’ ἥβη
πάρα, γηραλέοι δ’ ὀδόντες,
γλυκεροῦ δ’ οὐκέτι πολλὸς
βιότου χρόνος λέλειπται·
διὰ ταῦτ’ ἀνασταλύζω
θαμὰ Τἀρταρον δεδοικώς·
Ἀίδεω γάρ ἐστι δεινὸς
μυχός, ἀργαλῆ δ’ ἐς αὐτὸν
κάτοδος· καὶ γὰρ ἑτοῖμον
καταβάντι μὴ ἀναβῆναι.

Déjà nos tempes grisonnent et notre tête est blanche, et la gracieuse jeunesse n’est plus là, nos dents sont usées, et de notre douce vie, il ne reste plus beaucoup de temps.

C’est pourquoi souvent je pleure, craignant le Tartare ; terrible est le gouffre d’Hadès et pénible la descente vers lui ; et celui qui y est descendu n’est pas prêt à en remonter.

Le printemps

Ἴδε πῶς ἔαρος φανέντος
Χάριτες ῥόδα βρύουσιν·
ἴδε πῶς κῦμα θαλάσσης
ἁπαλύνεται γαλήνῃ·
ἴδε πῶς νῆσσα κολυμβᾷ·
ἴδε πῶς γέρανος ὁδεύει,
ἀφελῶς δ᾽ ἔλαμψε Τιτάν,
νεφελῶν σκιαὶ δονοῦνται,
τὰ βροτῶν δ᾽ ἔλαμψεν ἔργα,
καρπὸς ἐλαίας προκύπτει·
Βρομίου στέγων τὸ νᾶμα
κατὰ φύλλον, κατὰ κλῶνα,
θαλέθων ἤνθησε καρπός.

Vois comment, quand le printemps paraît, les Grâces se couvrent de roses ; vois comment le flot de la mer s’adoucit dans la paix ; vois comment plonge le canard ; vois comment la grue se met en route, et comment brille tout simplement le Titan comment les ombres des nuages se dissipent, et les travaux des hommes resplendissent, le fruit de l’olivier bourgeonne ; cachant sous ses feuilles, sous ses rameaux la liqueur de Bacchus, le fruit croissant a fleuri.

La cigale

Les cigales ont toujours fasciné les poètes et les philosophes au bord de la Méditerranée ; cette ode anacréontique ne peut pas ne pas évoquer l’histoire imaginée par Platon dans Phèdre

Μακαρίζομέν σε, τέττιξ,
ὅτε δενδρέων ἐπ᾽ ἄκρων,
ὀλίγην δρόσον πεπωκώς,
βασιλεὺς ὅπως ἀείδεις·
σὰ γάρ ἐστι κεῖνα πάντα,
ὁπόσα βλέπεις ἐν ἀγροῖς,
ὁπόσα φέρουσιν ὗλαι.
Σὺ δ’ ὁμιλία γεωργῶν,
ἀπὸ μηδενός τι βλάπτων·
σὺ δὲ τίμιος βροτοῖσιν,
θέρεος γλυκὺς προφήτης·
φιλέουσι μέν σε Μοῦσαι,
φιλέει δὲ Φοῖβος αὐτός,
λιγυρὴν δ᾽ ἔδωκεν οἴμην·
τὸ δὲ γῆρας οὔ σε τείρει,
σοφέ, γηγενής, φίλυμνε,
ἀπαθής, ἀναιμόσαρκε·
σχεδὸν εἶ θεοῖς ὅμοιος.

Nous t’estimons heureuse, cigale, quand au sommet des arbres, ayant bu un peu de rosée, tu chantes comme une reine1. En effet, tout ce que tu vois dans les champs, tout ce que nourrissent les bois, tout cela est à toi. Toi, compagne des paysans, qui ne nuit à personne ; toi, précieuse aux mortels, douce interprète de l’été ; les Muses t’aiment, Phoebus lui-même t’aime, et il t’a donné un chant mélodieux ; la vieillesse ne t’accable pas, toi sage, musicienne, dépourvue de sang, qui es née de la terre, sans douleur, tu es presque semblable aux dieux.

  1. Le grec dit « comme un roi » ; τέττιξ est masculin.

Éros serviteur

Ἄλλο ἔροτικον τοῦ αὐτοῦ

Ἐπὶ μυρσίναις τερείναις,
ἐπὶ λωτίναις τε ποίαις
στορέσας θέλω προπίνειν·
ὁ δ’ Ἔρως χιτῶνα δήσας
ὑπὲρ αὐχένος παπύρῳ
μέθυ μοι διακονείτω
Τροχὸς ἄρματος γὰρ οἶα
βίοτος τρέχει κυλισθείς·
ὀλίγη δὲ κεισόμεσθα
κόνις ὀστέων λυθέντων.
Τί σε δεῖ λίθον μυρίζειν ;
Τί δὲ γῇ χέειν μάταια ;
Ἐμέ μᾶλλον, ὡς ἔτι ζῶ,
μύρισον, ῥόδοις δὲ κρᾶτα
πύκασον, κάλει δ’ ἑταίρην.
Πρὶν ἐκεῖσ’ ἕδρας μ’ ἀπελθεῖν
ὑπὸ νερτέρων, χορείαις
σκεδάσαι θέλω μερίμνας.

Autre poème érotique de l’auteur

Étendu sous de délicats myrtes, sous le feuillage vert du lotus, je veux boire. Qu’Éros, après avoir attaché sa tunique avec une ficelle à son cou me serve du vin (ou de la bière). Comme la roue d’un char, la vie court, roulée sans cesse ; et nos os dissous, nous ne serons qu’un peu de cendre. Pourquoi faut-il parfumer la pierre tombale, pourquoi verser de vaines libations ? Parfume-moi plutôt quand je vis encore, couronne ma tête de roses, appelle une courtisane. Avant de partir d’ici pour le séjour des morts, je veux disperser les soucis par des danses.

  • δήσας ne vient pas de δέω « manquer de », mais de δέω : lier, attacher.
  • παπύρῳ : « avec un papyrus »… c’est-à-dire avec une ficelle faite avec du papyrus. (le papyrus n’était pas seulement associé à l’écriture : il servait aussi à fabriquer des ficelles, des cordes…)
  • τὸ μέθυ est une boisson fermentée : vin, ou peut-être une sorte de bière.
  • διακονοῦμαί τί τινι : servir du vin (ou une boisson) à quelqu’un. Il s’agit d’un impératif, 3ème pers. du singulier.
  • Ne pas confondre ὁ τρόχος, ου (la course) et  ὁ τροχός, οῦ (la roue).
  • κυλισθείς : participe aoriste passif de κυλίνδω, rouler, faire rouler.
  • ὁ λίθος, ου : pierre ; ici, pierre tombale
  • πυκάζω : couvrir, couronner
  • νέρτερος : inférieur, d’en bas → mort
  • σκεδάννυμι : disperser

Une « belle infidèle » de Leconte de Lisle (merci à Patrick Adenis qui me l’a signalée)

ODE IV – Sur lui-même
Couché sur des myrtes frais et du vert lotos, je boirai à l’aise.
Ayant noué d’un papyros sa tunique à son cou, Éros me servira.
Le temps ailé fuit comme la roue d’un char ; et, nos os dissous, nous ne sommes plus qu’un peu de cendre.
À quoi bon parfumer le tombeau et verser sur la terre ce qu’on peut boire ?
Couronne plutôt ma tête de roses, pendant ma vie ; apporte-moi des essences et appelle l’hétaïre.
Je veux oublier les soucis, avant de me mêler aux danses des morts !