La morphologie de l'adverbe

Une définition morphologique impossible

Quels traits communs peut-on trouver entre le monosyllabe "si" – dont l'appartenance à la classe des adverbes est parfois discutée – et l'interminable dérivé adjectival "anticonstitutionnellement", qui passe pour le mot le plus long de la langue française ?

Le premier est issu soit de la conjonction latine "si", soit de l'adverbe latin "sic", les deux ayant été d'ailleurs confondus ; il "modalise" un adjectif ou un adverbe en lui donnant une nuance intensive, soit seul dans une exclamation ("elle est si belle !" Tu viens si tard !"), soit en corrélation avec la conjonction "que", dans une subordonnée consécutive ("elle est si belle que les garçons n'osent pas lui parler" ; elle parle si sérieusement qu'on n'ose pas la contredire").

On ne peut trouver "si" isolément : "*elle est si" est une phrase agrammaticale.

Le second, dérivé du féminin de l'adjectif "anticonstitutionnel", appartient à la classe des "adverbes circonstanciels" exprimant la manière ; il "modifie" un verbe, ou une phrase entière.

On constate donc qu'il n'y a aucun critère morphologique permettant de repérer un adverbe.

Même l'invariabilité n'est pas un critère absolu :

  • Tout, indiquant l'intensité, s'accorde au féminin : "il est tout nu / elle est toute nue".

  • Des adjectifs adverbialisés s'accordent parfois, par confusion avec l'adjectif dont ils sont issus ; ainsi, on dira indifféremment : une fenêtre grand ouverte / des fenêtres grandes ouvertes.

AttentionNe pas confondre adverbe et adjectif

  • Cette barre est haute : ici, "haute" est un adjectif, qui s'accorde au nom "barre".

  • Il a placé la barre haut : ici, "haut" est un adverbe, qui ne saurait s'accorder.

    Donc la phrase, que l'on entend si souvent : "*il a placé la barre haute" est une faute, qu'il convient d'éviter.

Une classe repérable : les adverbes en -ment

On peut repérer cependant une classe d'adverbe, formée à l'aide du suffixe "-ment", sur une base généralement adjectivale (franchement, gaiement, anticonstitutionnellement...) ou parfois nominale (nuitamment, vachement), et qui, sémantiquement parlant, exprime la manière dont une action est faite, ou dont une qualité peut être nuancée.

("Il chante remarquablement." ; "Sa voix est remarquablement claire.")

Ces adverbes sont probablement issus d'une expression latine en "... mente", le mot féminin à l'ablatif "mente" signifiant "d'une manière..." ; tout naturellement, l'adjectif épithète de mente s'accordait au féminin singulier.

La plus grande partie de ces adverbes est donc formé sur la base du féminin singulier de l'adjectif, à laquelle s'ajoute le suffixe :

  • gaie-ment ;

  • belle-ment ;

  • nulle-ment.

Les adverbes formés sur des adjectifs en -ent et -ant ne sont pas formés sur la forme féminine en -ente, -ante, mais sur une forme en -emment, -amment : négligemment, puissamment.

Les adjectifs qui au masculin se terminent par une voyelle autre que le e muet construisent leur adverbe directement avec le suffixe :" aisément, vraiment, crûment"...

"gaiement et gaîment" sont tous deux admis.

On notera qu'en ce cas, la voyelle u prend un accent circonflexe.

Enfin, certains adverbes peuvent être formés sur une autre base que l'adjectif :

  • bref /brièvement ;

  • grave / grièvement (qui s'est spécialisé dans la description d'une maladie, d'une blessure...) à côté de "gravement" ;

  • traître / traîtreusement...