Pour l'heure étonnée qui tombe de l'horloge

pour la pierre qui marche et l'arbre qui s'accroît

quand je tourne le dos

Pour le chemin caché qui pousse le marcheur

pour l'ombre écartelée qu'il foule dans ses pas

Pour ce volet captif dans l'air frais

la maison resserrée sur son ventre de vent

et le regard trop grand pour la fenêtre

je suis ici, plus inconnue que tous

avec mon sang mal éveillé

mon cœur qui lentement revient de nuit

mes bras de glaneuse à gerber le silence

mes pas en écheveau déroulé au hasard

et mon visage humain qui s'amarre

à l'ancre bleue des portes refermées.

 

                   Brigitte RICHTER (1943-1991), Pays d’enfances mortes, « Enfance immobile », in Œuvres Poétiques, édition Noë Richter, Bernay/Le Mans, 1993.

 

 

Relevé de quelques figures apparaissant dans ce texte, contemporain :

Nous avons ici une seule phrase, marquée par l'équilibre : elle est quasi équilatérale, avec une protase de cinq éléments (isocolie + cadence majeure à la fin : le dernier élément compte trois vers)

L'acmé : "je suis ici" au vers 9, est le centre du poème. Cela peut faire penser à une phrase couperet, mais ensuite il y a relance.

L'apodose compte aussi cinq éléments : effet d'accumulation ; isocolie puis cadence majeure (dernier élément = 2 vers) ; énumération fermée ("et mon visage"), qui s'achève justement sur la mention d'une fermeture.

Ainsi, la première partie = le monde et la deuxième partie = le moi. Il y a bien clôture.