NB : les références sont issues du n°2000 de la collection Folio (Gallimard)
On entend généralement par "roman traditionnel" le roman tel qu'il s'est mis en place au cours du dix-neuvième siècle, avec le mouvement réaliste (Balzac, Stendhal, Flaubert, Maupassant) et naturaliste (Zola et les frères Goncourt). On peut le définir ainsi :
Le "roman d'apprentissage", qui permet de suivre un personnage du début de sa jeunesse jusqu'à l'âge adulte, en est un exemple-type (cf. L'Education sentimentale de Flaubert).
Vers la fin des années cinquante, ces caractères définissant le roman sont fortement mis en cause par
ce que l'on appellera, notamment, le "nouveau roman", centré autour
d'auteurs tels que Nathalie Sarraute, Alain Robbe-Grillet, Michel Butor ou
Claude Simon.
Pour de plus amples informations sur le "nouveau roman", voir le site
Magister.
Mise en question du personnage, fortement identifié, et lié à un contexte précis : il devient une identité flottante, errant dans un monde sur lequel il ne peut agir, et qui le concerne à peine.
L'intrigue, elle aussi, est remise en question : peu cohérente, répétitive ou fuyante, elle subit parfois des changements radicaux de points de vue... Le narrateur omniscient disparaît.
Le dialogue, lui aussi, tend soit à proliférer (mais sans être alors porteur de sens : on échange des banalités, sans rapport avec l'histoire) soit à disparaître ;
Enfin, l'analyse psychologique est rejetée.
Jean-Marie Gustave Le Clézio se présente comme un solitaire, résolument à l'écart de tout mouvement constitué, et notamment du "nouveau roman". Cependant, une partie au moins de son œuvre reprend les principaux caractères de ce groupe.
Son œuvre romanesque, qui compte une quarantaine de titres, peut se diviser en deux grands ensembles :
Puis Le Clézio revient vers une forme moins subversive : retour du "récit", des "personnages", de "l'aventure"... et une plus grande facilité, au moins apparente, de lecture :
Le Chercheur d'or appartient donc à la "deuxième période" : il s'agit de l'histoire, racontée à la première personne, d'un personnage, Alexis (fortement inspiré par le grand-père du narrateur), qui, chassé de chez lui par une banqueroute, part à la recherche d'un trésor destiné à sauver sa famille de la ruine. Il ne trouvera jamais ce trésor, mais peut-être autre chose, de plus précieux...
Le roman pourrait donc s'apparenter à un roman d'apprentissage : au début le narrateur est un enfant de huit ans ; à la fin, c'est un adulte, et trente ans se sont écoulés. Mais regardons-y de plus près :
S'il n'y a pas de récits entremêlés comme dans Désert, on trouve un récit linéaire, marqué par de fortes étapes, auxquelles correspondent les parties du livre. Rien là que de très classique... En même temps, le récit est parfois bousculé : les étapes se succèdent sans lien causal bien fort ; l'histoire semble piétiner, se répéter, sans rien apporter de bien nouveau au personnage (cf. les deux parties à Rodrigues) ; le récit se brise parfois par des analepses (la parenthèse sur les grands-parents venus s'installer dans l'île) : la visite de l'oncle Ludovic semble déterminer le départ de la famille du Boucan ; mais entre les deux s'intercale la course vers l'arbre "affouche" qui n'a rien à voir avec cette histoire... Le rapport de causalité est donc mis en doute, et laisse le lecteur dans l'incertitude. De la même manière, le départ à la guerre semble déterminé par le refus d'Ouma de suivre Alexis (p. 258), mais aussitôt après, le narrateur trouve les cachettes vides (p. 261-262) ; mais ce départ apparaît finalement comme un "coup de tête" motivé par l'enthousiasme général, et plus particulièrement la joie de Casimir : p. 265. Enfin, le récit ne s'achève pas, sinon sur un nouveau départ, probablement imaginaire : "J'irai sur le port pour choisir mon navire" (p. 374) : tout peut donc recommencer. Nous sommes dans un temps cyclique, et non linéaire.
Si l'on peut suivre le personnage principal, Alexis, les autres restent assez
énigmatiques ; en particulier Laure, mais aussi Ludovic, l'oncle rapace dont on
ignore les motivations, ou encore Ouma, qui vient et disparaît sans
explications, attend des mois le retour d'Alexis, mais l'abandonne du jour au
lendemain sans un regard...
L'analyse sociologique est tout autant rejetée : comme souvent chez Le Clézio,
les personnages se vouent à un exil volontaire, à Rodrigues, ici, puis à
Mananava, comme dans Désert Lalla s'enfuyait à Marseille...
Contrairement aux romans d'apprentissage du 19ème siècle, les personnages de Le
Clézio n'ont aucune illusion ni sur leur chance de réussir dans la société
telle qu'elle est, ni sur leur capacité à la changer : ils se savent condamnés
d'avance. Même lorsqu'ils rencontrent un paradis, celui-ci est voué à la
destruction (cf. la dévastation de Saint Brandon, p. 176-180) ; les rapports
sociaux, insaisissables ou destructeurs, n'offrent aucune autre issue au
personnage que la fuite : cf. Lalla, dans désert (du bidonville à Marseille,
puis retour), ou Alexis... qui ne peut faire autrement que de quitter Maurice
pour Rodrigues, puis y revenir.
Alors que les héros des romans traditionnels cherchaient une réussite d'ordre matériel (cf. Balzac ou Stendhal), ceux de Le Clézio cherchent plutôt une fusion entre l'être et le monde, dans la tradition de la philosophie orientale, du Tao ou du Zen : cf. la dernière phrase du Chercheur d'Or : "Il fait nuit à présent, j'entends jusqu'au fond de moi le bruit vivant de la mer qui arrive." (p. 375)
Par exception, Alexis L'Étang est doté d'un nom fixe, ce
qui devient plus fréquent dans les derniers romans, mais était rare dans les
premiers. Mais tous ces personnages présentent des liens géographiques, ethniques
ou familiaux assez lâches. Alexis est doté d'une famille (un père, une mère,
une sœur) qu'il quittera bientôt et ne retrouvera que des années plus tard ;
Ouma n'a qu'un demi-frère assez évanescent, et semble sans liens ; Ouma et
Alexis s'aiment, mais se quittent brusquement, sans explication.
Les autres sont souvent perçus comme dangereux : la foule en colère (scène de
l'émeute à la sucrerie), la famille (l'oncle riche, source de malheur, ou le
cousin méprisant et violent) ; les personnages sont le plus souvent des
solitaires. Ils s'écrivent, mais n'envoient pas toujours leurs lettres (cf. les
lettres à Laure). En somme, "Les amitiés se nouent entre les hommes, se défont.
Personne n'a besoin de personne."(p. 165)
En revanche, présence souvent d'un initiateur : un personnage
secondaire, qui souvent ne communique pas ou peu verbalement, mais offre au
protagoniste sa connaissance du monde : le Hartani (jeune berger sourd et muet)
pour Lalla dans Désert, ou dans le Chercheur d'or, Denis le jeune
pécheur noir, ou Ouma.
Très souvent, la narration prend une forme circulaire, comme si le temps était aboli : dans Désert, Lalla quitte son bidonville pour Marseille, puis fuit Marseille pour retourner accoucher dans son pays ; dans le Chercheur d'Or, Alexis quitte Maurice pour Rodrigues, puis Rodrigues pour s'engager sur le front belge, durant la première guerre mondiale. Puis il revient à Rodrigues, et enfin à Maurice, là où avait commencé son histoire. En outre, la première phrase et la dernière du roman se répondent :
"Du plus loin que je me souvienne, j'ai entendu la mer" (p. 11)
- "Il fait nuit à présent, j'entends jusqu'au fond de moi le bruit vivant de la mer
qui arrive." (p. 375)
La répétition annule le récit, le temps ; tout cela en somme n'a servi à rien puisque l'enfant possédait au départ ce qu'il a cherché et (re)trouvé.
Bonheur lié à l'enfance et à la nature ; bonheur autarcique. L'enfant vit dans un milieu relativement protégé et fermé, entre sa sœur, son ami Denis, ses parents. L'intrusion du monde extérieur apparaît comme une menace : le mystérieux oncle Ludovic, le cousin Ferdinand, méprisant et violent.
Le bonheur n'est donc jamais présent : il est rétrospectif (on se rend compte qu'il a existé quand il n'est plus), prospectif (thème de la quête, commun à Alexis et à son père), mais jamais présent, à l'exception de personnages ancrés dans le présent, dans la nature : Denis, puis Ouma.
Elle dure plus longtemps que la première (plusieurs années), mais est plus brève : une vingtaine de pages.
Elle est marquée par l'absence de bonheur : ville morne, études sans intérêt, travail chez Ludovic, mort du père, grande pauvreté. Alors que la première partie était marquée par la luxuriance de la végétation, la richesse de la mer, les couleurs, cette seconde partie est pauvre, monotone, grise, marquée par l'imparfait, temps de la description et de la répétition. "La vie à Forest Side, loin de la mer, cela n'existait pas" (p. 103)
C'est la seule partie du roman qui soit entièrement rédigée aux temps du passé, essentiellement un imparfait de description et de répétition, comme si le narrateur voulait établir une distance par rapport à ces longues années. C'est aussi la seule partie qui ne comporte pas de date.
Le bonheur existe sous forme de quête, ou de projet : projet (avorté) de voyage en France, lectures à la bibliothèque, visites au port. La recherche du trésor se prépare, et connaît un début de réalisation : rencontre du Zeta, et du Capitaine Bradmer.
Le rythme de la narration change encore : un mois pour une soixantaine de pages, toutes consacrées à la navigation sur le Zéta, image de la nef Argo. On peut parler à la fois de "stase" (un seul lieu, le bateau, et un bonheur essentiellement contemplatif), et de mouvement (une seule action, la navigation d'une île à l'autre).
La nef Argo est un leit-motiv du roman, qui fait référence à la légende de Jason,
et de la Toison d'or. Jason, fils d'Æson, s'embarqua sur ce navire pour aller
chercher la Toison d'or, qui apporterait richesse et prospérité à celui qui la
possèderait. Elle se trouvait en Colchide, au bord de la Mer Noire. Jason
réussit à la conquérir, avec l'aide de Médée, la magicienne, qu'il ramena chez
lui en Grèce. Tout le monde connaît la suite : Jason trompa Médée avec Créuse ;
l'épouse bafouée empoisonna sa rivale, poignarda les deux enfants qu'elle avait
eus de Jason, et s'enfuit... C'est le sujet de nombreuses tragédies, notamment Médée,
de Sénèque.
Argo symbolise donc la navigation, l'aventure, la quête du trésor et celle du
bonheur ; elle est donc le symbole du roman tout entier. Mais elle peut
signifier aussi l'échec de cette quête – Jason a bien conquis la toison, mais
elle ne lui a donné ni prospérité ni bonheur –, la vanité de toute quête du
bonheur...
Mais Argo est aussi une constellation : cf. p. 62.
Le Zeta apparaît dans le roman à la page 116 ; c'est une goélette, commandée par
le mystérieux capitaine Bradmer.
Une goélette est un navire à deux mâts ; en Bretagne, le Saint-Sauveur et la
Belle-Poule sont des goélettes ; en Méditerranée, la goélette Alliance permet
de naviguer dans les calanques de Marseille.
Le Zeta est désigné aussi comme un schooner : "Petit bâtiment à plusieurs mâts, gréé de voiles auriques, utilisé pour la pêche, le commerce et la plaisance, surtout aux États-Unis" (définition du TLF). Dès le premier regard (p. 116), il apparaît comme un bateau extraordinaire, qui attire l'attention : "Au milieu des autres bateaux de pêche, il ressemblait à un pur-sang prêt pour la course". Son allure, son ancienneté, son nom étrange (celui d'une lettre grecque, z, la première lettre du mot "vie" ?), le nom de son capitaine (Bradmer, que le narrateur comprend comme "bras-de-mer", ce qui évoque un nom de pirate), le fauteuil insolite sur lequel demeure en permanence le timonier comorien ou le capitaine, tout désigne le Zeta comme un navire d'exception. Il exerce un attrait quasi magique (cf p 118), et il s'identifie à la nef Argo "Je crois que je l'ai su tout de suite : je partirais sur le Zeta, ce serait mon navire Argo, celui qui me conduirait à travers la mer jusqu'au lieu dont j'avais rêvé, à Rodrigues, pour ma quête d'un trésor sans fin." (p. 119)
Lieu magique, le Zeta est aussi l'occasion de rencontrer de nouveaux initiateurs, le vieux capitaine Bradmer, mais surtout le timonier comorien, qui n'a pas de nom, mais fait découvrir au narrateur les îles, et notamment le paradis de Saint-Brandon.
La navigation sur le Zeta apparaît comme une parenthèse heureuse dans le roman. Le temps semble suspendu : "depuis le premier jour, j'ai hâte de parvenir à Rodrigues, le but de mon voyage, et pourtant maintenant, je souhaite que cette heure ne s'achève jamais, que le navire Zeta, comme Argo, continue éternellement à glisser sur la mer légère, si près du ciel, avec sa voile éblouie de soleil pareille à une flamme contre l'horizon déjà dans la nuit." (p. 139). Cela peut paraître contradictoire :nous avons affaire à une vraie navigation, que l'on peut tracer sur la carte, de Port-Louis, dans l'île Maurice, à Agalega, tout au nord des Mascareignes (après cinq jours de traversée, deux jours d'escale) ; puis vers Mahé, poussé par la tempête (nouvelle escale ; visite de l'île de Frégate, une fausse piste dans la recherche du trésor) ; puis le vent tourne, et permet de revenir vers le sud ; nouvelle escale à Saint-Brandon, et enfin Rodrigues.
Mais la durée semble n'avoir plus d'importance ; le narrateur perd toute impatience, et jouit intensément du présent, surtout lorsqu'il se trouve en mer. Est-ce l'expression du bonheur, dans une "stase" où le temps s'abolit, où n'existent plus aucun tourment, où les éléments eux-mêmes, le ciel, la mer, offrent une harmonie parfaite ; où il n'est pas utile de résister, mais seulement de se laisser porter par le vent (cf. la sagesse du capitaine Bradmer), une ataraxie épicurienne, fondée sur la pure contemplation sans trouble ?
La chronologie se fait floue, et la narration se transforme en "journal de bord", sans recul. Une chronologie approximative : "un jour... un autre jour, en mer..." Cf. p. 143 :
"Depuis combien de temps voyageons-nous ? Cinq jours, six jours ? Alors que je regarde le contenu de ma malle, dans la pénombre étouffante de la cale, la question se pose à moi avec une inquiétante insistance. Qu'importe ? Pourquoi voudrais-je le savoir ? Mais je fais de grands efforts pour me remémorer la date de mon départ, pour essayer de faire le compte des journées en mer. C'est un temps très long, des jours sans nombre, et pourtant tout cela me semble aussi très fugitif. C'est une seule interminable journée que j'ai commencée quand je suis monté sur le Zeta, une journée pareille à la mer, où le ciel parfois change, se couvre et s'obscurcit, où la lumière des étoiles remplace celle du soleil, mais où le vent ne cesse pas de souffler, ni les vagues d'avancer, ni l'horizon d'encercler le navire."
La narration, au présent, suit ce temps cyclique, dilaté, le temps d'un bonheur précaire et illusoire.
Au cœur même de ce bonheur idyllique (c'est à dire contemplatif, ataraxique et statique) subsistent des appels d'un réel moins idéalisé :
La cale, où Bradmer exige que tout le monde dorme ; Alexis ne subira pas très souvent ce supplice, mais c'est "l'envers du décor" : bruit, promiscuité, les autres (ici les marins) perçus comme une menace... dans le passage ci-dessus, la descente à la cale, c'est le retour de l'inquiétude, de la nécessité d'arriver à Rodrigues, l'exigence de la quête symbolisée par la malle contenant les documents. (cf. p. 143)
Bradmer lui-même, qui a connu les parents d'Alexis, et qui lui en parle lors de l'escale à Agalega (p. 158) puis plus tard sur le bateau ; c'est d'ailleurs cette intrusion brutale dans son intimité qui fait prendre conscience à Alexis que le Zéta lui-même n'est pas un navire magique : "mais où suis-je donc ? Sur le pont du Zéta, un vieux shooner chargé de barriques d'huile, plein de rats et de vermine, perdu sur la mer entre Agalega et Mahé." p. 162
Les escales elles-mêmes, parenthèses temporelles dans la navigation : soumises au temps, aux horaires (il faut franchir la barrière de corail à marée haute) elles représentent la civilisation (chambre d'hôtel, pirogues...) et renvoient à la recherche : cf. l'île Frégate, qui rappelle le but du voyage.(p. 168-170). D'ailleurs, c'est à l'approche de l'escale à Mahé que l'harmonie qui règne sur le bateau est mise à mal, par une dispute qui semble ici une courte anecdote sans rapport avec le récit, mais dont le sens symbolique s'impose : le monde des hommes est un monde de violence. (p. 165-166)
Le bonheur ataraxique n'est donc, sinon une illusion, du moins qu'une pause, et non une fin en soi.
L'île de Saint-Brandon existe bel et bien : voir le site qui lui est consacré.
Mais le plus important est le rôle qu'elle joue dans le roman. Saint-Brandon apparaît d'abord sous forme de récit : le timonier comorien parle de cet île "dans un français très pur" (p.135) : c'est un paradis "qui n'appartient qu'aux tortues de mer et aux oiseaux" (p. 135) ; c'est un paradis ignoré des hommes, et qui ne connaît ni le péché, ni la violence, ni la mort - excepté la violence naturelle et cyclique de la mer, qui chaque année balaie les îles du lagon et rénove tout.
Mais dès le premier récit, l'arrivée des hommes apporte le massacre et la destruction.: "... alors nous avons commencé à les tuer" (p. 136).
Le deuxième récit se trouve p. 147-149. Il apparaît comme une fable, un récit enchâssé comme on en trouve souvent chez Le Clézio. Et il s'agit encore d'une transgression immédiatement suivie d'un châtiment divin : une tempête qui emporte l'intruse... C'est un récit assez étrange, où le crime n'est nullement d'introduire dans l'île la violence et la mort, mais au contraire l'amour humain... Saint-Brandon est donc un paradis doublement trompeur, soumis à la destruction, sans rédemption possible.
Enfin, il y aura une escale à Saint-Brandon : le capitaine Bradmer, qui comprend qu'Alexis ne lui succèdera pas à la tête du Zeta, veut lui offrir cette escale (p. 176-180).
Là encore Saint-Brandon apparaît comme un paradis : "Une paix, une lenteur que je n'ai ressentie nulle part ailleurs, qui viennent de la transparence de l'eau, de la pureté du ciel, du silence." (p. 177) ; ou encore, plus bas : "la nuit ici est une récompense, chargée d'étoiles qui trouent le ciel mauve.". Le paradis est d'abord lié à une notion de pureté, de paix : "l'eau du lagon me lave, me purifie de tout désir, de toute inquiétude." (p. 178). Et cette escale est présentée comme un cadeau (p. 179).
Mais l'illusion se dissipe avec une extrême brutalité : "Plus tard,j'ai compris pourquoi Bradmer a fait escale à Saint-Brandon" (p. 179) ; et au paradis succède une scène de carnage, d'autant plus insupportable que les tortues qui en sont victimes n'ont même pas l'instinct de fuir ; ignorant le contact des hommes, elles ont perdu tout réflexe de survie. L'homme saccage l'un des seuls endroits au monde où il pourrait, comme dans l'Eden, vivre en paix avec les animaux... La scène s'achève dans la plus brutale trivialité : les hommes préparent et dévorent le produit de leur chasse ; mais toute harmonie est rompue :
" Quand la boucherie est terminée, tout le monde embarque dans la pirogue, les mains ruisselantes de sang. J'entends les cris aigus des oiseaux qui se disputent les carapaces des tortues. La lumière est aveuglante..." (p. 180)
Il ne peut donc y avoir de paradis qu'hors du monde des hommes, et tant qu'ils n'y ont pas accès. Comme au Boucan, comme à Rodrigues, le paradis est toujours dans un lieu à l'écart d'une humanité destructrice. C'est l'une des utopies majeures de Le Clézio. Une utopie trompeuse, elle aussi : ce qui se passait au Boucan était connu de tous ; et même à Rodrigues, Alexis sera moins ignoré des hommes qu'il le croit...
Les deux premières parties du roman, L'Enfoncement du Boucan et Forest Side, étaient des récits rétrospectifs : le narrateur devenu adulte racontait son enfance.
Ici, la narration devient multiple :
Cette hétérogénéité donne une impression de multiplicité, de polyphonie, parfois de voix discordantes ; cela contribue à rendre le paradis illusoire.
La première phrase de la partie précédente, "je suis à Rodrigues", sonnait comme un triomphe, un aboutissement, un nouveau départ. Rodrigues est tout cela à la fois
560 km à l'ouest de Maurice, 8 km de large sur 18 km de long, elle fait aujourd'hui partie de la circonscription administrative de Maurice. C'est une île assez sauvage et préservée, où l'on ne cultive pas la canne à sucre.
Pour mieux la connaître, quelques sites :
Et un très beau texte d'Ananda DEVI, dans son roman, Soupir (2002), qui se déroule à Rodrigues :
Mer, soleil, sécheresse et cyclone. Nos quatre rythmes. Nos quatre points
cardinaux. Ce qui nous faisait vivre et nous tuait tour à tour. Et nous
entrions dans notre abrutissement avec nos yeux lavés de sel, nos silences de
cœur, trop lourds, nos mains fripées de trop de mer.
Ça a l'air accueillant, rieur, un tout petit peu sauvage, juste de quoi plaire
aux touristes qui viennent en plus grand nombre depuis qu'ils connaissent
notre existence. Ils apportent de l'argent, un peu de peau blanche (ou
écrevisse après quelques jours d'exposition au soleil), une autre façon de
vivre, même lorsqu'ils croient mimer la nôtre. Ils apportent un air
d'ailleurs, mais ils ne comprennent rien à l'air d'ici. On les regarde de
l'autre côté d'une barrière qu'ils ne voient pas mais pressentent peut-être
comme une gêne passagère. On ne se touche pas. Ils touchent à nos filles,
mais ils ne savent pas lire ce qu'il y a dans leurs yeux. Ils voient les
sourires de circonstance, mais pas la rage qui, parfois, nous ronge le cœur.
Car nous sommes une race fière.
Tout ce temps, Rodrigues a été un pays en mal avec lui-même. Nous faisons partie
de Maurice, mais elle est bien loin,
bien différente. Rien ne nous unit. Nous sommes la dernière île habitée à
l'est de l'Afrique. Le radeau en perpétuel naufrage. Le lagon donne une
impression rassurante, mais la double ligne de l'horizon, celle, blanche, des
récifs, celle noire de la limite de l'océan, dit bien tout ce qu'il a de
trompeur, et que le bleu n'est qu'un reflet de surface masquant des abîmes
plus profonds. L'intérieur du pays, lui, est accidenté et sec. Les rochers
sont des arêtes qui interdisent le passage. Les collines ne sont pas vertes
mais fauves et drues. Elles n'ouvrent les bras à personne. Et sous la terre,
les caves veillent.
On croit que nous sommes des gens doux et accueillants. Le pittoresque, c'est ça
qu'ils viennent chercher ici. Letan lontan, letan margoz. Temps des légumes amers.
Mais nos légumes à nous ont toujours été amers. Il n'y en a jamais eu d'autres.
Suspendus à nos jours, à nos heures, arrachant une existence à la mer et à la terre,
avec notre odeur de poisson salé, nos paniers de raffia ou d'aloès, nos chapeaux de paille, notre irrésolu.
Ananda Devi, Soupir, Gallimard, « Continents noirs », 2002, p. 24-25
L'Anse aux Anglais, où le narrateur va séjourner durant des mois, existe également : à 15 mn à pied de Port Mathurin, l'anse abrite aujourd'hui un hôtel.
Le roman, tout au long, contient des parties (sept), dotées d'un titre et le plus souvent d'une date ; chacune de ces parties est découpée en "séquences", marquées par un saut de page ; et parfois par des "sous-séquences" matérialisées par un blanc de plusieurs interlignes.
La 4ème partie se décompose ainsi :
1 | p. 189-197 | août-sept 1911, arrivée à l'Anse aux Anglais, après des mois d'errance dans toute l'île. | |
2 | p. 198-203 | plusieurs mois ; découverte de la vigie du Comble du commandeur, première marque du Corsaire | |
3 | p. 204-207 | plusieurs jours ; insolation et fièvre, première rencontre avec Ouma et Sri. Décision de repartir. | |
4 | p. 208-258 | p. 208-234 | retour à l'Anse aux Anglais ; 2ème rencontre avec Ouma ; multiplication des signes du Corsaire ; partie de pêche avec Ouma ; puis les rencontres deviennent quasi quotidiennes. Biographie d'Ouma ; ils deviennent amants. |
p. 234-245 | découverte du ravin et d'une première cachette, vide. Excursion avec Ouma en pirogue. | ||
p. 245-250 | Date : 10 août 1914 ; lettre de Laure | ||
p. 250-254 | Alexis fouille seul au fond du ravin, et se blesse. Il est soigné par Ouma. Longue conversation avec elle. | ||
p. 254-258 | Sri guide Alexis jusqu'au village manaf. Conversation avec Ouma, qui refuse de suivre Alexis : il décide de partir à la guerre. | ||
5 | p. 259-274 | p. 259-262 | fouille systématique du fond du ravin, avec plusieurs hommes : toutes les cachettes sont vides. |
p. 262-266 | Port-Mathurin : mobilisation générale. Alexis décide de s'engager. | ||
p. 266-274 | Alexis rebouche les cachettes du Corsaire, met à son tour une marque avec la date : 10 décembre 1914. Dernières entrevues avec Ouma. |
La recherche proprement dite du trésor n'occupe donc, en réalité, qu'à peine un tiers du roman pris dans son ensemble. Dans cette première partie consacrée à Rodrigues, on peut noter deux grands mouvements :
Enfin, une autre structure peut être décelée :
Le récit commence par une brève analepse, qui est aussi une ellipse : "Depuis des semaines, des mois, j'ai parcouru Rodrigues..." puis l'arrivée à l'Anse aux Anglais va marquer un arrêt de l'errance, en même temps qu'un retour à un récit au présent de narration, qui annule toute temporalité : "Depuis longtemps, je suis dans cette vallée. Combien de jours, de mois ?" (p. 198). Comme durant la navigation, l'annulation du temps chronologique est le signe d'un lieu privilégié, d'un bonheur.
L'Anse aux Anglais apparaît bien comme un lieu privilégié, parce que loin des hommes : "De nouveau je ressens l'ivresse, le vertige. Il y a tant de silence ici, tant de solitude ! Seul le passage du vent dans les rochers et les broussailles, apportant la rumeur lointaine de la mer sur les récifs, mais c'est le bruit d'un monde sans hommes." (p. 192) La seconde phrase est elliptique ; on y retrouve les éléments majeurs d'un monde heureux : silence, solitude, vent, mer...
Ce n'est pourtant pas un paradis, au sens où on l'imagine d'ordinaire : la nature est âpre, violente. Pierres, sable, vent violent, lumière aveuglante, soleil qui brûle... La végétation se fait rare : tamarinier, vacoas. Alexis sera même victime d'une insolation,et sauvé par Ouma la jeune Manaf, et son frère.
Alexis sera ébranlé par le profond mépris qu'Ouma, et avec elle tout son peuple, voue à l'or. La quête frénétique d'un trésor laisse de marbre les Manafs, mais aussi Fritz et les autres Noirs ; c'est à leurs yeux une folie d'Européen, de Blanc.
Mais Alexis va découvrir d'autres trésors, tout aussi précieux, à Rodrigues.
En réalité, Alexis est écartelé entre deux quêtes qui s'excluent l'une l'autre :
Le départ à la guerre s'explique peut-être par l'impossibilité de surmonter cette opposition, ce "double-bind" (double exigence contradictoire), et par le double échec qui en résulte.
Elle apparaît tardivement dans le roman ; sa première apparition est peut-être p. 199 : "je crois voir ces ombres, ces silhouettes fugitives, en haut des collines". Il s'agit probablement des "manafs", noirs fugitifs qui vivent dans des villages à l'écart des blancs, descendants d'esclaves marrons. La solitude d'Alexis est trompeuse ; en réalité, il est observé...
Mais c'est surtout à partir de la p. 205 qu'elle intervient, lorsque Alexis a été victime d'une insolation. "à côté de moi, il y a un enfant et une jeune fille, aux visages sombres, vêtus de haillons comme les manafs. [...] La jeune fille parle au garçon, dans un créole que je comprends à peine. [...] Je n'ai pas parlé en créole, mais la jeune manaf semble avoir compris. Elle dit, je crois : "Là-haut". C'est une véritable manaf, silencieuse, sur ses gardes. [...] Tout à coup, ils s'en vont."
2ème rencontre p. 211, avec cette fois une description plus précise : "Elle a un visage d'enfant, mais elle est grande et svelte, vêtue d'une jupe courte à la manière des femmes manafs et d'une chemise en haillons. Ses cheveux sont longs et bouclés comme ceux d'une indienne. [...] ses longs cheveux noirs font paraître plus lumineuse la couleur cuivrée de sa peau." On apprend qu'elle parle un français presque sans accent, et qu'elle en sait long sur Alexis : elle connaît le but de sa quête. Elle apparaît à la fois comme une sauveuse, et un être "sauvage et beau", proche de la nature. Elle porte un nom indien, et a l'art de disparaître brusquement.
Elle réapparaît tout aussi brusquement p. 219 : première partie de pêche. Ouma est un personnage intercesseur entre le héros et la nature. Elle parle peu, demeure énigmatique, mais elle joue auprès d'Alexis adulte le même rôle que Denis auprès d'Alexis enfant. Tous deux sont noirs, et marginaux par rapport à la société mauricienne, ou rodrigaise. Elle se moque de la recherche de l'or, et joue avec le narrateur (p. 224).
Puis ces visites deviennent habituelles : "ces jours-là" (p. 224), "presque tous les jours" (p. 226). Ouma garde son rôle de guide, mais Alexis ne la comprend pas (p. 228 : elle est triste, sans doute commence-t-elle à aimer Alexis, qui ne s'en aperçoit pas).
P. 232-233 : biographie d'Ouma : où l'on apprend qu'elle est métisse (manaf et indienne), et de culture européenne (elle a été en partie élevée en France). Elle est donc marginale aussi chez les Manafs... Et p. 234, ils s'aiment pour la première fois – mais pour Alexis dans une sorte de semi-inconscience : "Puis nous sommes l'un dans l'autre, sans que j'aie pu comprendre". Mais immédiatement après, il retourne à sa quête obsessionnelle du trésor : "j'ai enfin trouvé le ravin..."
P. 238-245 : voyage en mer, qui là encore fait pendant au voyage en pirogue avec Denis.(p. 52-58). Mais cette fois, c'est Alexis qui dirige le bateau. Ils sont d'abord chassés de l'île aux Fous (les fous sont des oiseaux de mer : voir lexique) ; puis ils trouvent un îlot désert et sans nom : ce sera l'image du paradis : abondance du poisson (p. 241), bruit de la mer et oubli du temps (p. 242), amitié avec les oiseaux. "Après cette journée si longue, pleine de lumière, nous sommes dans une nuit profonde et lente qui nous pénètre et nous transforme. C'est pour cela que nous sommes ici, pour vivre ce jour et cette nuit, loin des autres hommes, à l'entrée de la haute mer, parmi les oiseaux." (p. 244)
Le retour chez les hommes se marque de plusieurs signes : une date précise (10 août 1914) ; une lettre alarmante de Laure annonçant que l'état de Mam' se dégrade, la guerre qui menace. Pris dans l'urgence, Alexis creuse frénétiquement, et se blesse : c'est encore Ouma qui le soigne. Chacun d'eux raconte à l'autre son enfance, mais une fêlure, marquée par le "vous" : "Vous aimez vraiment l'or ?" (p. 252). P. 256, elle le fait venir presque jusqu'à son village, mais elle refuse l'idée de partir avec lui. Et Alexis décide alors de partir pour la guerre, sans même le lui avouer (p. 269) Mais elle avait compris (p. 273).
Une longue parenthèse s'écoule, avant que l'on retrouve Ouma, dans les pensées du narrateur d'abord : il comprend qu'elle n'est plus à Rodrigues lorsqu'il découvre un village manaf déserté ; puis il comprend enfin ce qu'elle avait essayé de lui faire percevoir (p. 332) : la vanité de l'or, l'importance d'un autre secret. Il est alors prêt à la retrouver.
Derniers moments avec Ouma, p. 347-367 : Elle est devenue "gunny" sur les plantations de Ferdinand ; lui-même est sirdar. Pour la rejoindre, il abandonne tout, et la retrouve au cours d'une émeute. (p. 352-353.) Puis ils vivent quelques temps de bonheur à Mananava, lieu à l'écart ; mais ils sont encore rattrapés par les autres hommes : dans une étoile filante, Ouma voit le présage de la fin ; "Elle parle du malheur et de la guerre qui doivent revenir, encore une fois, de la mort de sa mère, des manafs que l'on chasse de partout, qui doivent repartir maintenant." (p. 367)
Et dès la page suivante, Ouma disparaît : "Je comprends qu'on les emmène, qu'on emmène Ouma, n'importe où, ailleurs, pour les embarquer dans les cales d'un bateau, vers leurs pays, pour qu'ils ne demandent plus de l'eau, du riz, du travail, pour qu'ils ne mettent plus le feu aux champs des Blancs." (p. 370).
==> Ouma est donc :
Alors que le roman dessine un cercle dans l'Océan Indien (l'Enfoncement du Boucan, Forest Side, Rodrigues ==> Rodrigues, Forest Side, Mananava), le chapitre de la guerre apparaît comme une parenthèse insolite. Avec 26 pages, il est assez court, et paraît donc étrange dans le roman.
Il commence par une ellipse : l'on quitte le narrateur le 10 décembre 1914, et on le retrouve un an après environ, à Ypres, en Belgique. La navigation, des Seychelles à l'Europe, puis les premiers mois de front ont été escamotés. Et immédiatement, la guerre se manifeste par une inversion du temps qui brouille le calendrier : alors que décembre correspond à l'été à Maurice, en Europe, c'est l'hiver...
La guerre apparaît donc comme un "passage" dans l'épouvante, une épreuve initiatique (on peut songer à l'initiation aux mystères d'Eleusis, ou encore à la "traversée de l'enfer" de Tamino et Pamina, dans la Flûte enchantée de Mozart...) au terme de laquelle le narrateur doit sortir, transformé, dans la lumière et le savoir...
Le retour à Maurice apparaît comme une libération après l'horreur de la guerre, et Alexis vit d'abord dans l'illusion que rien n'a changé. Pourtant, il doit bien vite déchanter, et la dégradation apparaît comme un contrepoint constant des retrouvailles :
Émerveillement |
deuil |
Mer = liberté ; "tempête magnifique, illumination" (p. 308) "je suis heureux" (p. 310) ; "cet été-là est le plus beau" (ibid.) Croit retrouver la complicité du Boucan (p. 317-318) Le Zéta, p. 319 Émerveillement du retour à Rodrigues, p. 323-324 |
Pas un Rodriguais connu ! (p. 307) Laure a changé (p. 309-310) ; abandon et détresse de la maison ; le Boucan, lui, a disparu (p. 311-313) ivresse passée (p. 314) Retour à la WWWest (p. 316) Mam' est vieille, désabusée, et Laure pleine de préjugés. Aucune des deux femmes n'est plus capable de rêver, ni d'espérer. mort du timonier. Bradmer est vieux, parle d'une voix hésitante. Le bateau ne sait plus où il va, il navigue contre la mer ! Cf. p. 129 / p. 322 : le navire n'est plus ce "pur-sang", mais il semble fragile et menacé. Retour à Rodrigues, qui est aussi un adieu au Zéta, et à Bradmer le vieux tamarinier est mort (p. 324) ; omniprésence de la mort ; abandon du village manaf. Alexis lui-même a changé (p. 326) |
Après le deuil du retour, elle donne sens à l'énigmatique passage de la guerre : c'était une épreuve initiatique, marquant la sortie de l'enfance, et le deuil du retour :
Le retour à ce bonheur naturel ne marque pas la fin du voyage : il faut que revienne le cycle qui a initié le roman. Les lettres de Laure réintroduisent l'inquiétude (p. 337)
L'on retrouve le même cycle qu'au début : bonheur => cyclone dévastateur => mort familiale.
Comme le premier ouragan, celui-ci s'acharne sur les marques du bonheur : le Zéta sombre, son équipage (et son capitaine) disparaissent. L'Anse aux anglais est dévastée : la hutte a disparu (p. 340), le torrent a tout emporté, même le tamarinier. Et les rats ont envahi la vallée. Et si la mort n'est pas présente dans cette partie, elle est déjà annoncée par la lettre de Laure.
Ici a commencé le travail de dépouillement qu'Alexis poursuivra dans la dernière partie : c'est la fin radicale et définitive de l'aventure rodriguaise, de la quête de l'or du Corsaire.
Le passage se compose de deux "séquences" :
Séquence I | p. 345-347 | Retour peu glorieux à Maurice : il mendie une place auprès de Ferdinand, et devient sirdar à Yemen |
p. 347-350 | Il revoit Ouma, devenue "gunny" ; il abandonne son travail de Sirdar et veut travailler dans les champs. On le lui refuse | |
p.350-353 | Émeutes ; Alexis retrouve Ouma, et apprend qu'elle l'a attendu et cherché. | |
Séquence II | p. 354-357 | Retour au Boucan : il ne reste plus rien mais il retrouve l'arbre Chalta |
p. 357-361 | Mort de Mam' ; Laure refuse de venir avec Alexis ou Ouma à Mananava. | |
p. 361-364 | Installation à Mananava : Ouma l'y rejoint. | |
p. 364-367 | "Nous avons rêvé des jours de bonheur..." ; "un hiver, un été". Mais une pluie d'étoiles filantes annonce une nouvelle guerre | |
p. 368-371 | Départ d'Ouma ; Ferdinand fait défricher les dernières terres du Boucan. Les réfugiés, dont Ouma, sont emmenés en camions. | |
p. 371-372 | Port-Louis : départ du bateau des réfugiés | |
p. 372-373 | Retour, seul, à Mananava. Destruction des derniers restes du Corsaire ; "je n'ai plus rien". | |
p. 373-374 | Sur la colline de l'Étoile, Alexis repense à son passé, et imagine un nouveau départ. |
Ce dernier passage montre qu'Alexis abandonne, ou perd tout ce qu'il possédait :
Mais ce dépouillement complet n'est pas senti comme une catastrophe, plutôt comme une libération : comme le Corsaire qui "a défait ce qu'il avait créé, pour être enfin libre" (p. 373), Alexis a rompu toutes ses attaches : "Je n'ai plus rien" (ibid.)
La quête du trésor et la recherche du bonheur se sont donc définitivement séparées : l'on ne peut être heureux qu'en se mettant radicalement hors de portée des hommes, en se dépouillant de tout ce qui nous rattache à l'Histoire et à la société ; mais ce bonheur est fondé sur les plus grands sacrifices, le plus grand dépouillement. Alexis, à la fin du roman, est proche des épicuriens (qui prônent un hédonisme uniquement fondé sur les "plaisirs nécessaires et naturels"), voire des cyniques...
Le dernier passage se compose de deux parties distinctes, marquées par les temps verbaux :
Alexis a renoncé au trésor, à une recherche chimérique d'un bonheur fondé sur la possession de biens matériels. Il s'est dépouillé de tout, pour retrouver la liberté. Mais c'est au prix d'une solitude absolue, et d'une liberté vide : le bonheur auquel il aspire, en communion avec la mer, la nature, et loin du monde des hommes, n'est qu'une utopie.
Et pour finir, ce texte du Voyage à Rodrigues (Folio, p. 136) :
"La quête de mon grand-père peut bien sembler dérisoire aujourd'hui, alors que cette mer a cessé d'être libre, alors que les Anglais ont accepté l'installation des bases nucléaires américaines à Diego Garcia, dans l'archipel des Chagos, alors que de chaque côté de l'océan Indien, chez le géant de l'Inde ou chez le nain frénétique du Sud-Afrique, l'on prépare déjà la guerre nucléaire, alors que le continent antarctique est devenu une vaste caserne, et que le monde entier trouve tout cela normal."