Devoir n° 1 sur Si c'est un homme

"Plus de sentiment, plus de religion dans le Lager".

Le Lager est décrit comme une machine à déshumaniser les hommes ; or cette déshumanisation prend deux formes : l'absence de sentiments entre les détenus, et la disparition de toute forme de religion, ou de spiritualité.

  1. L'absence de sentiments :
    Les détenus, dépouillés de tout, sont d'abord séparés de tous ceux qu'ils aiment, et se retrouvent absolument seuls. En outre, réduits à la seule tentative de satisfaire les besoins les plus élémentaires, ils perdent la capacité d'éprouver des sentiments de pitié, de solidarité les uns envers les autres.

    1. D'un côté les "Musulmans" qui, comme Null Achtzehn, sont réduits à leur seule enveloppe corporelle, au-delà de toute souffrance et de toute conscience (p. 44-45)

    2. A l'autre extrémité, les bourreaux, les SS mais également leurs auxiliaires, les "Kapos", totalement privés de sentiments humains (cf. Elias, ou Alex) au point de dénier toute qualité humaine à leurs victimes (le Dr Pannwitz, ou Alex s'essuyant sur l'épaule de Levi,ou encore les filles du Labor), mais devenant eux-mêmes infra-humains : leur langage, par exemple n'est plus que cris.

    3. Entre les deux, les Prominenten, les "organisatoren" qui perdent, progressivement, tout sens moral, et toute solidarité.

    Le camp déshumanise tous ceux qui y vivent, et détruit toute forme de sentiment.

  2. L'absence de religion.
    Croire en Dieu, c'est d'abord croire en un ordre du monde, et au principe du Bien : or l'un et l'autre est bafoué à Auschwitz, règne de l'absurdité et du Mal. Par ailleurs, c'est être capable d'espérer. Or les détenus sont justement privés de toute espérance. S'il subsiste une religion, c'est sous une forme dévoyée : le vieux Kuhn remerciant Dieu d'avoir échappé à la sélection (p. 138) ! Après Auschwitz, on ne peut plus croire en une Providence. (p.169)

  3. Pourtant, une forme de résistance :

    1. Certains êtres parviennent à conserver une part d'humanité, de sentiments : à commencer par P. Levi lui-même (cf. appendice). C'est même une des raisons de sa survie. Il y est aidé par des rencontres : Lorenzo, Alberto deviennent ses amis, et il doit à Jean le Pikolo un moment de grâce, lorsqu'il lui récite le "chant d'Ulysse".

    2. D'autres conservent leur foi : c'est le cas du rabbin Mendi, ou de Chajim, juif polonais pratiquant, que Levi rencontre au KB, et en qui il a "une confiance aveugle" (ch. 4). Levi lui-même n'est pas croyant, et Auschwitz le confirme dans son athéisme ; mais il découvre une culture hébraïque, une identité juive - qui lui a valu d'être déporté ! -, cimentée par la langue yiddish, qu'il ignorait. Il mentionne le fait que cette culture soudait entre eux certains juifs.

    3. Enfin, sentiments et religion ne sont peut-être qu'ensevelis, tout comme la mémoire, lorsque les uns et les autres seraient contraires à la survie : ils réapparaissent dans le dernier chapitre ; solidarité, amitié, respect envers les morts... Le Lager mort, sentiments et religion peuvent à nouveau exister.

Peut-on dire que Si c'est un homme est un écrit humaniste ?

Qu'est-ce que l'humanisme ? C'est une philosophie, née au seizième siècle, qui considère comme une valeur la personne humaine, et qui a foi en la nature de l'être humain, en sa raison, en sa sociabilité et en sa capacité de progrès.

Or, nous dit Levi, le camp de concentration a été une "gigantesque expérience biologique et sociale" (ch. 9 p. 93) dans laquelle des hommes, enfermés et privés de tout, placés dans des conditions extrêmes, ont dû lutter pour leur survie, et ont révélé ainsi  "ce qu'il y a d'inné et ce qu'il y a d'acquis dans le comportement de l'homme confronté à la lutte pour la vie". (ibid.)

Quelle image de l'homme nous donne le témoignage de Levi ?

  1. Omniprésence du Mal, victoire du pire :
    1. Les victimes perdent rapidement tout sens moral ; aucune solidarité entre elles, et pire : beaucoup collaborent activement avec les bourreaux dans l'espoir d'améliorer leurs chances de survie.
    2. Indifférence ou haine des bourreaux à l'égard des détenus : ils ne les voient pas comme des êtres humains.
    3. Disparition rapide de tout ce qui fait l'homme, conscience, langage, culture, sociabilité.

    L'humanité, en l'homme, ne résiste pas au système nazi qui en est le déni. Dans des conditions extrêmes, l'homme se dépouille de la civilisation, et devient pire qu'un animal.

  2. Pourtant, certains résistent, et conservent leur humanité (voir question 1). Il reste des formes de résistance : dignité des insurgés de Birkenau (voir chapitre 16), retour de l'humanité dès que l'oppression nazie s'éloigne (ch. 17) ; des amitiés indéfectibles se créent au camp (Levi et Charles, p. ex)...

Le camp donne donc une image contrastée de l'être humain. D'un côté, la seule existence de camps comme Auschwitz interdit à tout jamais de croire en une "bonté" naturelle de l'homme. Ce qu'Hannah Arendt appelle "la banalité du mal" (Eichmann était un homme ordinaire, comme Alex "la brute innocente") représente un déni absolu de l'humanisme.

Mais le témoignage de Levi offre aussi des portraits qui interdisent de désespérer tout à fait de l'homme ; et ce sont les valeurs même de l'humanisme - la reconnaissance de la personne humaine en l'autre et en soi-même, la solidarité active, le partage, ne serait-ce que de quelques vers de Dante - qui lui ont permis de survivre.