Accueil>Pedagogie>>Français>>>Terminale L
Devoir n° 2 sur Si
c'est un homme
Question 1 (8 points) :
Dans le Chant des Marais, commun à tous les camps de concentration nazis, le refrain dit ceci :
" Ô terre de détresse
Où nous devons sans cesse
Marcher, marcher… "
Que représente la marche dans Si c'est un homme ?
Question 2 (12 points) :
Primo Levi a défini le Lager comme " le plus menaçant des monstres engendrés par le sommeil de la raison. " Dans quelle mesure Si c'est un homme illustre-t-il cette affirmation ?
Que représente la
marche dans
Si c'est un homme ?
Le "Chant des Marais", connu
dans tous les camps de concentration, a été composé par des détenus,
pour dire leurs souffrances, mais aussi leurs espoirs. Le refrain
souligne l'une des tortures les plus pénibles de la vie des prisonniers
: les marches harassantes et constantes.
- La marche, torture physique et
moyen de déshumanisation.
- Première apparition du thème :
chapitre 2 p. 30 ; Primo Levi, qui vient d'arriver au camp,
assiste pour la première fois au retour des détenus :
"Et voici qu'apparaissent les bataillons de camarades qui
rentrent du travail. Ils avancent en rang par cinq : leur
démarche est bizarre, contactée, rigide, on dirait des
bonshommes de bois ; mais ils suivent scrupuleusement le rythme
de la fanfare." p. 30
Tout figure déjà dans ce passage : le rôle de la musique, le
sadisme des SS qui impose une fanfare à des hommes exténués
et assistent au spectacle, la déshumanisation.
La marche est intimement liée à la musique militaire, qui
semble absolument infernale aux détenus (p. 53)
- Une marche constante : c'est le
seul moyen de transport dont ils disposent, pour aller du camp
à la Buna, ou se déplacer à l'intérieur du camp. Une marche
qui ne va nulle part - le camp est un monde clos - et se
répète inlassablement. Marche et interminables stations debout
: toute la vie des détenus tient en ces deux termes. Le travail
lui-même consiste en d'incessants allers-retours, en
transportant des charges
- Une torture physique : marche
dans la boue, la neige, avec des chaussures à semelle de bois,
dont les lacets sont souvent remplacés par du fil de fer, et
qui provoquent de dangereuses blessures : cf. p. 34-35. En
outre, quiconque ne suit pas la cadence reçoit des coups, et se
met en danger de mort. Cf. Kraus, p. 143 :
"Maintenant, c'est le moment du "links, links, links
und links", le moment de faire attention où on met les
pieds. Kraus est maladroit, il s'est déjà attiré un coup de
pied du Kapo parce qu'il ne marchait pas en rang."
- Un moyen d'échapper à la
marche : la "bonne blessure", celle dont on peut
guérir et qui vous garantit quelques jours d'infirmerie, ou la
chance de devenir un "spécialiste" : P. Levi a eu les
deux (ch. 4 et 15). Mais là encore, la musique vient rappeler
aux détenus le supplice de la marche (p. 53)
- Mais il existe d'autres marches,
moins destructrices, parce qu'elles échappent en partie au
contrôle nazi :
- la marche libératrice, dont
Primo Levi nous donne un exemple au chapitre 11("Le chant
d'Ulysse"). Le Pikolo et son assistant ont un trajet
d'environ un km à effectuer pour aller chercher la soupe.
Echappant à toute surveillance, ils peuvent flâner :
"Pour aller chercher la soupe, il fallait faire un
kilomètre, puis retourner avec la marmite de cinquante kilos
enfilée sur les bâtons. C'était un travail assez fatigant,
mais qui incluait un parcours agréable à l'aller puisqu'on
n'était pas chargé [...] Nous ralentîmes l'allure." (p.
118)
C'est durant ce trajet que Levi connaîtra un moment de grâce,
en récitant un passage de l'Enfer de Dante à Pikolo.
- C'est aussi durant ces marches
que parfois, les prisonniers peuvent établir des liens : p.
143-144, Primo Levi profite du trajet de retour pour raconter à
Kraus qu'il l'a vu en rêve, revenu chez lui et en bonne santé
- un mensonge qui doit aider Kraus à survivre encore un peu.
- La marche après le départ des
SS.
- La marche la plus horrible n'est
ni vécue ni racontée par Levi, qui n'y a pas assisté ; c'est
ce qu'on a appelé la "marche de la mort", durant
laquelle périrent plus de 60 000 déportés, dont Alberto,
l'ami de Primo Levi.
- Pour les 7600 détenus
abandonnés dans le camp, la marche prend alors une tout autre
signification : le chapitre 17 nous montre les allées et venues
des prisonniers les plus valides, à la recherche de nourriture
ou d'objets de première nécessité, dans le camp dévasté :
une marche individuelle, qui s'aventure de plus en plus loin
jusqu'à l'extérieur du camp, et qui représente le retour à
la vie, même si elle s'avère elle aussi douloureuse : cf. p.
170-171, où Levi décrit le délabrement physique des
prisonniers.
Conclusion : la marche est donc l'un
des symboles de la vie et des souffrances des détenus. C'est pour cela
que Beckett, dans En attendant Godot, voulant évoquer un univers
concentrationnaire, insiste sur les malheurs d'Estragon avec ses
chaussures...
Primo Levi a défini le Lager comme " le plus menaçant des monstres engendrés par le sommeil de la raison. " Dans quelle mesure Si c'est un homme illustre-t-il cette affirmation ?
- Le Lager est un monstre
- Souvent personnifié comme tel,
le Lager semble fonctionner de manière autonome, comme une
bête monstrueuse - Moloch, ou le Léviathan. Ainsi, la drague
de la Buna est décrite dans le chapitre 7 comme un animal
vorace :
"La benne, suspendue aux câbles,
ouvre toutes grandes ses mâchoires dentées, se balance un
instant, comme indécise, puis fond sur la terre argileuse et
molle, et mord dedans avec voracité, tandis que la cabine de
commandes éructe avec satisfaction une épaisse bouffée de
fumée blanche. Puis la benne remonte, décrit un demi-cercle,
recrache derrière elle son énorme bouchée et recommence.
[...] Nous n'arrivons pas à nous arracher au spectacle du repas
de la drague." (p. 79)
De même, le Lager est représenté comme un immense
corps agonisant, dans le dernier chapitre : "Le
Lager venait de mourir et il montrait déjà les signes de la
décomposition [...] Les malades encore capables de se déplacer
avaient envahi comme une armée de vers le terrain durci par le
gel." (p. 170)
- Le Lager échappe, comme tout
monstre, à toute norme et à toute raison ; Levi insiste
constamment sur les règlements absurdes, l'irrationnel qui
gouverne la vie du camp : Hier ist kein warum (ici il n'y a pas
de pourquoi), lui dit-on dès son arrivée au camp ; et Clauser
inscrit au fond de sa gamelle : "ne pas chercher à
comprendre". Règlements absurdes (ils doivent faire leur
lit au millimètre, cirer leurs chaussures...), sélections
arbitraires, tout semble dénué de sens et rien n'est
prévisible ; à la Buna, seuls les faibles travaillent, et
jamais un gramme de caoutchouc synthétique n'en sortira. Il
s'agit d'une véritable "folie géométrique"
- Mais ce monstre a une origine :
le sommeil de la Raison.
- L'origine des camps : la haine
irrationnelle, monstrueuse, des Nazis à l'encontre des Juifs,
qui les pousse à leur dénier toute appartenance à l'espèce
humaine. Le cas de Pannwitz est à cet égard caractéristique ;
il est l'un des rares nazis dont on ait le portrait dans Si
C'est un homme, et à cet égard, il a une valeur
métonymique : il représente à lui seul toute la folie nazie.
Cf. p. 113 :
"Son regard ne fut pas celui d'un
homme à un autre homme ; et si je pouvais expliquer à fond la
nature de ce regard, échangé comme à travers la vitre d'un
aquarium entre deux êtres appartenant à deux mondes
différents, j'aurais expliqué du même coup l'essence de la
grande folie du Troisième Reich."
- Ce "sommeil de la Raison a
touché non seulement les SS, mais également le peuple allemand
dans sa profondeur : les "filles du Labo", des jeunes
filles "comme toutes les jeunes filles de tous les
laboratoires du monde" méprisent ouvertement les détenus,
et les traitent elles aussi comme des objets : petites
mesquineries et gestes inhumains (cf. p. 152-153) ; mais en
déshumanisant l'autre, elles perdent elles aussi toute
humanité - elles sont complices de ce qui s'accomplit là;
- Il en est de même des civils,
rencontrés à la Buna, et parmi lesquels Lorenzo fait figure
d'exception miraculeuse. Les autres méprisent ouvertement les
Häflinge, avec lesquels pourtant ils trafiquent et qu'ils
cherchent à exploiter. Ils les voient misérables, sales et
faibles, et prenant l'effet pour la cause, ils pensent qu'ils
méritent un pareil sort.
Conclusion :
Si des hommes ont pu succomber à une
telle folie, et inventer le système des camps, dans le silence et la
complicité générale, alors, tout peut recommencer : rien ne nous
garantit d'un nouveau "sommeil de la raison", si ce n'est
justement le souvenir, la mémoire, l'impact des témoignages. Et c'est
pour cela que Levi a passé le reste de sa vie à écrire, à tenter
d'éveiller les consciences, comme après lui Robert Antelme, Joseph
Bialot, Jorge Semprun et bien d'autres.