Vitruve (L. Vitruuius Mamurra), 80-20 av. J-C : architecte et ingénieur militaire, il servit dans l'armée de César, où il était chargé de construire des machines de guerre ; il s'occupa ensuite des aqueducs de Rome. Il rassembla son savoir et son expérience dans les 10 livres de son De Architectura. Homme cultivé, pythagoricien, il n'hésite pas à se lancer dans des développements d'ordre général, citant Archimède, Platon, Aristote, Épicure ou Théophraste.
[3]
Haec autem ex natura rerum sunt animaduertenda et consideranda atque
etiam ex membris corporibusque gentium obseruanda. Namque sol quibus locis
mediocriter profundit uapores, in his conseruat corpora temperata; quaeque
proxime currendo deflagrant, eripit exurendo temperaturam umoris; contra uero
refrigeratis regionibus, quod absunt a meridie longe, non exhauritur a coloribus
umor, sed ex caelo roscidus aer in corpora fundens umorem efficit ampliores
corporaturas uocisque sonitus grauiores. Ex eo quoque, <quae> sub
septentrionibus nutriuntur gentes, inmanibus corporibus, candidis coloribus,
derecto capillo et rufo, oculis caesis, sanguine multo ab umoris plenitate
caelique refrigerationibus sunt conformati; [4]
qui autem sunt proximi ad axem meridianum subiectique solis cursui,
breuioribus corporibus, colore fusco, crispo capillo, oculis nigris, cruribus
ualidis, sanguine exiguo solis impetu perficiuntur. Itaque etiam propter
sanguinis exiguitatem timidiores sunt ferro resistere, sed ardores ac febres
subferunt sine timore, quod nutrita sunt eorum membra cum feruore; itaque
corpora, quae nascuntur sub septentrione, a febri sunt timidiora et inbecilla,
sanguinis autem abundantia ferro resistunt sine timore. […]
[9]
Item propter tenuitatem caeli meridianae nationes ex acuta feruore mente
expeditius celeriusque mouentur ad consiliorum cogitationes; septentrionalis
autem gentes infusae crassitudine caeli, propter obstantiam aeris umore
refrigeratae stupentes habent mentes. Hoc autem ita esse a serpentibus licet
aspicere, quae, per calorem cum exhaustam habent umoris refrigerationem tunc
acerrime mouentur, per brumalia autem et hiberna tempora ab mutatione caeli
refrigerata, inmota sunt stupore. Ita non est mirandum, si acutiores efficit
calidus aer hominum mentes, refrigeratus autem contra tardiores. [10]
Cum sint autem meridianae nationes animis acutissimis infinitaque
sollertia consiliorum, simul ad fortitudinem ingrediuntur, ibi succumbunt, quod
habent exuctas ab sole animorum uirtutes; qui uero refrigeratis nascuntur
regionibus, ad armorum uehementiam paratiores sunt; magnis uirtutibus sunt sine
timore, sed tarditate animi sine considerantia inruentes sine sollertia suis
consiliis refragantur. Cum ergo haec ita sint ab natura rerum in mundo conlocata
et omnes nationes inmoderatis mixtionibus disparatae, uero inter spatium totius
orbis terrarum regionisque medio mundi populus Romanus possidet fines.
Vitruve, De Architectura, VI, 1.3-4 et 1.9-10
Traduction :
3. Il y a là des remarques, des observations, une étude
à faire sur la nature des choses, et sur l'organisation des hommes. En effet,
aux lieux où le soleil verse une chaleur modérée, les corps conservent dans
une juste proportion les éléments qui les composent; mais ceux que, dans sa
course plus rapprochée, il brûle, il consume, perdent leur humidité, ce qui
en rompt l'équilibre. Dans les régions froides, au contraire, le grand éloignement
du soleil empêche que l'humidité ne soit épuisée par la chaleur; bien plus,
l'air chargé de rosée, remplissant les corps d'humidité, leur donne plus
d'ampleur, et rend le son de la voix plus grave. Voilà aussi pourquoi les régions
septentrionales voient naître des peuples à la taille colossale, au teint
blanc, à la chevelure plate et rousse, à l'œil pers, au tempérament sanguin,
soumis qu'ils sont à l'influence d'un ciel froid et humide.
4. Quant à ceux qui sont voisins de la ligne équinoxiale,
et qui reçoivent perpendiculairement les rayons du soleil, ils ont la taille
plus petite, la peau basanée, les cheveux crépus, les yeux noirs, les jambes
faibles, et peu de sang dans les veines à cause de l'ardeur du soleil. Aussi
cette disette de sang leur fait-elle appréhender toute espèce de blessure;
mais ils supportent sans crainte les chaleurs et les fièvres, parce que leurs
corps y sont accoutumés. Les corps, au contraire, qui naissent au septentrion,
craignent la fièvre, qui les affaiblit; mais l'abondance du sang leur ôte la
crainte que pourrait leur donner une blessure. […]
9. C'est encore à la subtilité de l'air, à la chaleur
du climat, que les peuples méridionaux sont redevables de cette activité dans
la conception de leurs projets. Les septentrionaux, au contraire, assoupis par
la densité de l'air, refroidis par l'humidité de l'atmosphère, ont de
l'engourdissement dans l'esprit. C'est une vérité dont les serpents pourront
nous donner une preuve : lorsque la chaleur a épuisé l'humidité froide qui
est dans leur corps, ils sont d'une agilité extraordinaire; l'hiver revient-il
avec ses rigueurs, ses frimas, ce changement de température les refroidit, les
engourdit, les rend immobiles. Il ne faut donc pas s'étonner que la chaleur
donne de la vivacité à l'esprit de l'homme; le froid, au contraire, de la
pesanteur.
10. Mais ces nations méridionales avec toute leur pénétration,
leur subtilité, s'il vient à être question de faire acte de valeur, se
trouvent sans énergie : le soleil, par sa chaleur, les énerve et leur ôte la
force du courage ; tandis que celles qui naissent dans les pays froids ont plus
d'assurance au milieu des horreurs de la guerre, et y déploient une valeur à
toute épreuve; mais la pesanteur de leur esprit, le défaut de réflexion, le
manque d'habileté sont les plus grands obstacles à l'exécution de leurs
desseins. S'il est entré dans le plan de la nature de mettre entre toutes les
nations des différences aussi marquées, elle a aussi voulu que le peuple
romain occupât sur la terre l'espace intermédiaire qui participait à
l'influence de ces divers climats.
Traduction Ch-L
Maufras.
(Site de
Philippe Remacle)
Ce texte a connu une remarquable postérité, notamment au XVIIIème siècle avec Montesquieu. Voici ce qu'il écrit dans l'Esprit des Lois :