Homère, Odyssée, Livre I, v. 1-79.

Prologue

[1,1] νδρα μοι ννεπε, Μοσα, πολτροπον, ς μλα πολλ
πλγχθη, πε Τροης ερν πτολεθρον περσε·
πολλν δ´ νθρπων δεν στεα κα νον γνω,
πολλ δ´ γ´ ν πντ πθεν λγεα ν κατ θυμν,
ρνμενος ν τε ψυχν κα νστον ταρων.
λλ´ οδ´ ς τρους ρρσατο, ἱέμενς περ·
ατν γρ σφετρσιν τασθαλίῃσιν λοντο,
νπιοι, ο κατ βος περονος ελοιο
σθιον· ατρ τοσιν φελετο νστιμον μαρ.
[1,10]
τν μθεν γε, θε, θγατερ Δις, επ κα μν.

·         ἐννέπω : dire

·         ῥύομαι > ἐρρύσατο : tirer d’un danger, sauver

·         ἡ ἀτασθαλία, ας : orgueil insensé, folle présomption

·         νηπίος, ου : enfant en bas âge è puéril, sot

·         ἁμόθεν : de quelque côté

Raconte-moi, Muse, l’homme aux mille tours, celui qui a tant erré, après qu’il eut ravagé la ville sainte de la Troade ; il a vu les cités et connu l’état d’esprit de beaucoup d’hommes, il a supporté de nombreuses souffrances en son cœur, sur la mer, luttant pour sa vie et pour le retour de ses compagnons. Mais pas même ainsi il ne sauva ses compagnons, malgré son désir ; en effet ils périrent par leur propre présomption, pauvres sots, eux qui mangèrent les bœufs du Soleil, fils d’Hypérion. Mais celui-ci leur enleva le jour du retour. Dis-nous à nous aussi, Déesse, fille de Zeus, une partie au moins de ses exploits.

L’Assemblée des Dieux

νθ´ λλοι μν πντες, σοι φγον απν λεθρον,
οκοι σαν, πλεμν τε πεφευγτες δ θλασσαν·
τν δ´ οον, νστου κεχρημνον δ γυναικς,
νμφη πτνι´ ρυκε Καλυψ, δα θεων,
ν σπεσι γλαφυροσι, λιλαιομνη πσιν εναι.
λλ´ τε δ τος λθε περιπλομνων νιαυτν,
τ ο πεκλσαντο θεο οκνδε νεσθαι
ες θκην, οδ´ νθα πεφυγμνος εν ἀέθλων
κα μετ οσι φλοισι· θεο δ´ λαιρον παντες
[1,20]
νσφι Ποσειδωνος· δ´ σπερχς μεναινεν
ντιθέῳ δυσϊ προς ν γααν κσθαι.

·         Αἰπυν ὄλεθρον : la mort profonde

·         Δῖα θεάων : divine entre les déesses

·         ἐν σπέεσι γλαγυροῖσι : au creux de ses cavernes

·         ἐπικλώθω (aoriste ἐπέκλωσα) : filer (se dit des Parques)

·         ἀσπερχές : sans relâche

·         μενεαίνω : désirer ardemment ; μενεαίνω τιν : être irrité contre quelqu’un

·         πάρος : avant que

A ce moment même, tous les autres, ceux qui avaient échappé à la mort profonde, étaient chez eux, ayant échappé à la guerre et à la mer ; lui seul, l’auguste nymphe Calypso, divine entre les déesses, le retenait au creux de ses cavernes, brûlant de l’avoir pour époux, lui qui désirait le retour et sa femme. Mais quand vint l’année, le cycle révolu, où les Dieux filèrent son retour chez lui à Ithaque, pas même alors il n’échappa aux épreuves, même parmi ses amis, et tous les dieux en avaient pitié, sauf Poséidon ; celui-ci sans relâche était irrité contre Ulysse semblable aux Dieux, avant qu’il ne revînt dans sa patrie.

λλ´ μν Αθοπας μετεκαθε τηλθ´ ἐόντας,
Αθοπας, το διχθ δεδααται, σχατοι νδρν,
ο μν δυσομνου περονος, ο δ´ νιντος,
ντιων ταρων τε κα ρνειν κατμβης.
νθ´ γε τρπετο δαιτ παρμενος· ο δ δ λλοι
Ζηνς ν μεγροισιν λυμπου θροι σαν.
τοσι δ μθων ρχε πατρ νδρν τε θεν τε·
μνσατο γρ κατ θυμν μμονος Αγσθοιο,
[1,30]
τν ´ γαμεμνονδης τηλεκλυτς κταν´ ρστης·
το γ´ πιμνησθες πε´ θαντοισι μετηδα·
«  πποι, οον δ νυ θεος βροτο ατιωνται.
ξ μων γρ φασι κκ´ μμεναι· ο δ κα ατο
σφσιν τασθαλίῃσιν πρ μρον λγε´ χουσιν,
ς κα νν Αγισθος πρ μρον τρεδαο
γμ´ λοχον μνηστν, τν δ´ κτανε νοστσαντα,
εδς απν λεθρον, πε πρ ο επομεν μες,
ρμεαν πμψαντες, ἐΰσκοπον ργεϊφντην,
μτ´ ατν κτενειν μτε μνασθαι κοιτιν·
[1,40]
κ γρ ρσταο τσις σσεται τρεδαο,
ππτ´ ν βσ τε κα ς μερεται αης.
ς φαθ´ ρμεας, λλ´ ο φρνας Αγσθοιο
πεθ´ γαθ φρονων· νν δ´ θρα πντ´ πτισε.

·         μέν : il s’agit de Poséidon.

·         Μετακιάθω : changer de pays pour aller vers

·         Διχθά = διχά : en deux

·         Δεδαίαται : parfait épique, 3ème pl. de δαίω : séparer, diviser

·         Δυσομένου Ὑπερίονος : au soleil couchant

·         ἀντιόων : pour aller au devant de, c'est-à-dire pour prendre sa part de (futur sans sigma). Les Éthiopiens sont les Noirs qui habitaient au sud de l’Égypte, oùle cours du Haut Nil les divisait en deux peuples, ceux du Couchant et ceux du Levant. Hérodote rapporte une légende égyptienne (III, 18) selon laquelle, sur une prairie appelée « table du Soleil », les magistrats éthiopiens exposaient la nuit, des viandes que chacun pouvait venir manger pendant le jour.

·         ἀρνειός, οῦ : bélier

·         δαιτ παρμενος : assis au festin.

·         ἀθρόοι : tous ensemble, en rangs serrés

·         ἀμύμων, ων, ον : irréprochable. L’épithète s’accorde assez mal avec Égisthe, qui après être devenu l’amant de Clytemnestre, épouse de son cousin, assassina celui-ci à son retour de Troie… Bérard propose de le traduire par « éminent » ou « astucieux »…

·         τηλεκλυτός, ός, όν = τηλεκλειτός, ός, όν : célèbre

·         θαντοισι μετηδα : μεταυδάω- + datif = parler au milieu de

·         ἀτασθαλία, ας : folle présomption, orgueil insensé

·         ὑπέρμορον : en allant au-delà du destin (parle de ceux qui aggravent leur destin par leur propre folie, dans l’Iliade et l’Odyssée.)

·         γῆμ(ε) : aoriste sans augment de γαμέω-, épouser

·         μνηστὴ ἄλοχος : la femme légitime (μνάομαι : désirer comme femme)

·         ἡ ἄκοιτις, ιος  : l’épouse

·         τίσις, εως : châtiment, vengeance

·         ἱμειρεται = subjonctif aoriste de ἱμείρω : souhaiter, désirer.

Mais il s’en alla chez les Éthiopiens qui sont au loin, les Éthiopiens qui sont divisés en deux, les uns au soleil couchant, les autres au levant, pour prendre sa part à l’hécatombe de taureaux et de béliers. Là il se réjouissait, assis au festin. Mais les autres étaient tous ensemble dans le palais de Zeus Olympien. Le père des hommes et des dieux commença à leur parler. Il se souvint en effet en son cœur de l’éminent Égisthe, qu’avait tué le célèbre Oreste, fils d’Agamemnon. Se souvenant de lui, il prononça ces mots devant les immortels : « Hélas ! combien les mortels accusent les dieux ! En effet, ils disent que c’est de nous que viennent les maux ; mais eux-mêmes, par leur propre présomption, ils souffrent des douleurs au-delà de leur destin. C’est ainsi qu’à présent Égisthe, au-delà de son destin, a épousé la femme légitime de l’Atride, et a tué celui-ci à son retour, sachant sa mort profonde, puisque auparavant, nous-mêmes lui avions dit, lui envoyant Hermès, le brillant tueur d’Argos, de ne pas le tuer, et de ne pas désirer l’épouse. D’Oreste viendrait la vengeance de l’Atride, quand il aurait grandi, et qu’il regretterait sa terre. C’est ainsi que parla Hermès, le bon conseiller, mais il ne put convaincre l’esprit d’Égisthe. Et à présent il a payé tout d’un coup.

 

 

 

τν δ´ μεβετ´ πειτα θε γλαυκπις θνη·
«  πτερ μτερε Κρονδη, πατε κρειντων,
κα λην κενς γε οικτι κεται λθρ,
ς πλοιτο κα λλος τις τοιατ γε ῥέζοι.
λλ μοι μφ´ δυσϊ δαφρονι δαεται τορ,
δυσμρ, ς δ δηθ φλων πο πματα πσχει
[1,50]
νσ ν μφιρτ, θι τ´ μφαλς στι θαλσσης,
νσος δενδρεσσα, θε δ´ ν δματα ναει,
τλαντος θυγτηρ λοφρονος, ς τε θαλσσης
πσης βνθεα οδεν, χει δ τε κονας ατς
μακρς, α γαῖάν τε κα ορανν μφς χουσι.
Το θυγτηρ δστηνον δυρμενον κατερκει,
αε δ μαλακοσι κα αμυλοισι λγοισι
θλγει, πως θκης πιλσεται· ατρ δυσσες,
ἱέμενος κα καπνν ποθρσκοντα νοσαι
ς γαης, θανειν μερεται. οδ νυ σο περ
[1,60]
ντρπεται φλον τορ, λμπιε; ο ν τ´ δυσσες
ργεων παρ νηυσ χαρζετο ερ ῥέζων
Τροίῃ ν ερείῃ; τ ν ο τσον δσαο, Ζε ; »

·         γλαυκπις : épiclèse d’Athéna, qui signifie d’abord « aux yeux de chouette » : Athéna est la déesse-oiseau ; puis l’on a interprété γλαυκός comme l’adjectif « brillant » (cet adjectif ne se trouve que 2 fois chez Homère (Iliade XVI, 34 et XX, 172) ; enfin il désignera une couleur : vert olive ou bleu gris.

·         ὕπατος, η, ον : le plus haut, le plus grand

·         κρίων, οντος : le plus fort

·         λίην = λίαν : très

·         ῥέζω : faire

·         δαίφρων, φρονος : prudent, sage (qualifie Ulysse, Alkinoos, Télémaque...) Noter la paronomase avec δαίομαι, être enflammé

·         δηθά : depuis longtemps

·         φλων πο : noter la postposition et l’accent de πο

·         ἀμφίρυτος, ος, ον : entouré d’eau de toutes parts ; ici Homère utilise un féminin en –η, hapax. En grec νσος désigne l’île ou la presqu’île : il n’y a donc pas pléonasme.

·         μφαλς : le nombril, ou la boule au centre du bouclier. Ici, on doit préférer la 2ème interprétation, en référence à la forme de l’île, car la 1ère signifierait que l’île est au « centre de la mer », ce qui ne correspond guère à la géographie homérique.

·         νσος δενδρεσσα : emploi assez libre d’une apposition au nominatif

·         ὀλοόφρων, φρονος : malfaisant, redoutable

·         τὸ βένθος, ους : fond, profondeur

·         κίων, κίονος ( en ionien) : colonne de soutien

·         κατερύκω : retenir, arrêter

·         ὀδύρομαι : se plaindre, se lamenter

·         θέλγω : charmer par des enchantements magiques, séduire

·         αἱμύλιος, ος, ον = αἱμύλος, η, ον : séducteur, rusé

·         ἐπιλήσεται : indicatif futur avec ὅπως ; < ἐπιλανθάνω, oublier

·         καὶ καπνόν : même la fumée, ne serait-ce que la fumée. ( καπνός, οῦ). On ne peut pas ne pas penser à Du Bellay : « quand reverrai-je enfin / fumer la cheminée de ma pauvre maison… »

·         ἀποθρῴσκω : s’élancer hors de

·         ἐντρέπομαι : se laisser émouvoir

·         ὀδύσσομαι : être irrité contre ; jeux de mots avec le nom d’Ὀδυσσεύς ?

Alors la déesse Athéna aux yeux de chouette lui répondit : « Ô mon père le Cronide, le plus puissant des puissants, cet homme gît dans une mort très juste, et que périsse tout autre qui ferait la même chose ! Mais mon cœur brûle pour le sage Ulysse, au triste destin, qui depuis longtemps, loin des siens, souffre des maux dans une île cernée par les eaux, là où se trouve la bosse (le nombril ?) de la mer ; une île couverte d’arbres ; une déesse y habite un palais, fille du redoutable Atlas, qui connaît les profondeurs de toute la mer, et c’est lui qui tient les colonnes qui maintiennent séparés la terre et le ciel ; sa fille retient le malheureux qui se plaint, elle tente sans cesse de l’envoûter par de douces et séduisantes paroles, afin qu’il oublie Ithaque ; mais Ulysse, qui désire voir ne serait-ce que la fumée montant de sa terre, souhaite mourir. Ton cœur ne se laisse donc en rien émouvoir, Olympien ? Ulysse ne t’a-t-il pas charmé un jour en t’offrant des sacrifices près des vaisseaux des Argiens dans la vaste Troade ? Pourquoi t’es-tu irrité contre lui, Zeus ? »

Τὴν δ´ παμειβμενος προσφη νεφεληγερτα Ζες·
« 
τκνον μν, ποῖόν σε πος φγεν ρκος δντων ;
πς ν πειτ´ δυσος γ θεοιο λαθομην,
ς περ μν νον στ βροτν, περ δ´ ρ θεοσιν
θαντοισιν δωκε, το ορανν ερν χουσιν;
λλ Ποσειδων γαιοχος σκελς αἰὲν
Κκλωπος κεχλωται, ν φθαλμο λωσεν,
[1,70]
ντθεον Πολφημον, ου κρτος στ μγιστον
πσιν Κυκλπεσσι· Θωσα δ μιν τκε νμφη,
Φρκυνος θυγτηρ, λς τρυγτοιο μδοντος,
ν σπεσι γλαφυροσι Ποσειδωνι μιγεσα.
κ το δ δυσα Ποσειδων νοσχθων
ο τι κατακτενει, πλζει δ´ π πατρδος αης.
λλ´ γεθ´ μες οδε περιφραζμεθα πντες
νστον, πως λθσι· Ποσειδων δ μεθσει
ν χλον· ο μν γρ τι δυνσεται ντα πντων
θαντων ἀέκητι θεν ριδαινμεν οος.

 

·         ρκος δντων : cette formule indique qu’une parole déplacée vient d’être prononcée.

·         Περί construit avec le génitif exprime une idée de supériorité : περ μν νον στ βροτν se traduit par «  il est par son esprit supérieur aux mortels » ; quand il est construit adverbialement, il garde ce sens : περ δ´ ρ θεοσιν / θαντοισιν δωκε = « plus que tout autre, il a offert des sacrifices aux dieux immortels. »

·         γαιοχος : qui embrasse ou secoue la terre (épithète de Poséidon) ; cf. v. 74 νοσχθων (ébranleur du sol)

·         ἀσκελής, ής, ές : dur, opiniâtre (ici neutre adverbial)

·         ἀλαόω- : aveugler, priver d’un œil

·         ἔσκον :  imparfait itératif épique de εἰμί.

·         Μέδων, οντος : chef, roi

·         Πλάζω ἀπὸ πατρίδος αἴης : faire errer loin de sa patrie, écarter...

·         Περιφράζομαι : examiner sous toutes ses faces, méditer

·         Μεθήσει = futur de  μεθίημι : relâcher, détendre.

·         ἀέκητι + G : malgré

·         ἀντία + G : contre

·         ἐριδαίνω : tenir tête

Lui répondant, Zeus qui assemble les nuages dit : « mon enfant, quelle parole s’est échappée de la barrière de tes dents ? Comment pourrais-je, moi, oublier le divin Ulysse, qui l’emporte par son esprit sur les mortels, et qui plus que tout autre a offert des sacrifices aux dieux immortels, qui habitent le vaste ciel ? Mais Poséidon qui embrasse la terre est toujours opiniâtrement fâché à cause du Cyclope, qu’il a aveuglé, Polyphème semblable à un dieu, dont la très grande force régnait sur tous les Cyclopes : la nymphe Thoosa l’avait mis au monde, fille de Phorkys, roi de la mer stérile, s’étant unie à Poséidon au creux de ses cavernes. Poséidon l’ébranleur du sol, à la suite de cela, ne le tue pas, mais le fait errer loin de sa patrie. Mais allez ! Nous tous ici méditons son retour, cherchons comment il reviendra. Poséidon bridera sa colère ; en effet il ne pourra en rien, seul, tenir tête à tous les dieux immortels.