Texte d'étude et traduction
La femme de tête, l'aigle, et le couvre-chef de Tarquin. (I, 34, 6-9)
A Tarquinia, en Étrurie, Lucumon1, fils d'un émigré grec, a épousé la très noble et très ambitieuse Tanaquil. Celle-ci incite son mari à tenter sa chance à Rome, ville nouvelle et ouverte aux hommes de mérite. Un signe des dieux vient confirmer ses espoirs.
In nouo populo, inquit, ubi omnis repentina atque ex uirtute nobilitas est, erit1 locus forti ac strenuo uiro ; regnauit Tatius Sabinus, arcessitus est in regnum Numa a Curibus2, et Ancus Sabina matre ortus nobilisque una imagine3 Numae erat.". Facile persuadet ut cupido honorum4 et cui5 Tarquinii materna tantum patria erat. Sublatis itaque rebus6 emigrant Romam. Ad Ianiculum forte uenerunt. Ibi ei carpento sedenti7 cum uxore aquila suspensis demissa leniter alis pilleum aufert superque carpentum cum magno clamore uolitans rursus uelut ministerio diuinitus missa capiti apte reponit ; inde sublimis abit. Accepit id augurium laeta Tanaquil, perita, ut uulgo Etrusci, caelestium prodigiorum mulier. Excelsa et alta sperare conplexa uirum iubet : "ea ales, ea regione caeli et eius dei nuntia uenit, circa summum culmen hominis auspicium fecit, leuauit humano superpositum capiti decus, ut diuinitus eidem redderet9.
D'après Tite-Live, e, I, 34, 6-9.
Note 1 : Lucumon (dont le nom signifie peut-être "roi" ou "magistrat" en étrusque, langue non indo-européenne) prit, en devenant roi de Rome, le nom de Lucius Tarquinius ; il s'agit de Tarquin l'Ancien.
Écoutez la lecture du texte :
Éclaircissements linguistiques
erit : futur du verbe "être", 3ème pers. du sing.
a Curibus : venu de Cures. Cures, -ium : Cures, ville des Sabins.
una imagine : les "images" ou "portraits" des ancêtres étaient l'équivalent de nos "quartiers de noblesse" : lorsqu'un noble était porté en terre, il était accompagné par les portraits de ses ancêtres.
ut cupido honorum : "comme à un homme avide d'honneurs". Cupido est au datif (complément de persuadeo, qui se construit en latin avec un datif) ; uiro est sous-entendu.
cui : "à un homme pour qui..." ; pronom relatif au datif, dont l'antécédent est "cupido [uiro]".
sublatis... rebus : mot à mot "leurs affaires ayant été emportées" → "ayant emporté leurs affaires".
ei carpento sedenti : mot à mot "à lui assis sur son char"1
uelut ministerio diuinitus missa : comme envoyée, de manière divine, pour une mission1
ut diuinitus eidem redderet :
ut... redderet : mot à mot "pour qu'elle le rende" → pour le rendre. Le verbe est au subjonctif imparfait, que l'on apprendra ultérieurement ;
eidem : pronom au datif : "au même homme" ;
diuinitus : adverbe déjà rencontré : "de manière divine", "sur l'ordre d'un dieu".
Note 1 : voir ci-dessous l'analyse complète de la phrase.
Syntaxe :
Ibi ei carpento sedenti cum uxore aquila suspensis demissa leniter alis pilleum aufert superque carpentum cum magno clamore uolitans rursus uelut ministerio diuinitus missa capiti apte reponit
Cette phrase est complexe et il serait utile de l'analyser en détail.
ibi : là
ei carpento sedenti cum uxore : ei... sedenti : COI ; carpento : complément de lieu sans préposition ("sur son char") ; cum uxore : "avec sa femme"
aquila leniter demissa : sujet de la phrase. "un aigle ayant glissé (ou descendu) doucement
suspensis alis : ablatif instrumental : avec ses ailes déployées (en vol plané)
aufert pileum : verbe + COD
superque carpentum uolitans : participe présent épithète d'aquila ; super carpentum, complément de lieu → "volant de ci de là au-dessus du char"
cum magno clamore : complément circonstanciel de manière ("à grands cris")
rursus capiti (datif) apte reponit (s-e COD "pilleum") : le repose à nouveau juste sur sa tête
uelut missa ministerio diuinitus : missa se rapporte à aquila ; ministerio : "pour une mission" ; diuinitus "sur l'ordre d'un dieu" (adverbe) → "comme envoyé en mission sur l'ordre d'un dieu"
Traduction
Chez un peuple neuf, où toute noblesse est soudaine et provient du mérite, il y aurait une place pour un homme énergique et courageux ; le Sabin Tatius avait régné, Numa, venu de Cures, avait accédé au pouvoir royal, et Ancus, était né d'une mère Sabine, et n'était noble par la seule image de Numa. Elle le persuade facilement, comme un homme avide d'honneur, et pour qui Tarquinies n'était sa patrie que par sa mère. C'est pourquoi ayant emporté leurs affaires, ils émigrent à Rome. Ils arrivèrent par hasard près du Janicule. Là, alors qu'il se trouvait assis sur son char avec son épouse, un aigle s'étant abattu doucement, en vol plané, lui enlève son bonnet, et, voletant à grands cris au-dessus du char, à nouveau, comme envoyé pour une mission divine, il le replace exactement sur sa tête ; puis il part dans les hauteurs. Tanaquil accepta joyeuse cet augure, en femme ayant l'expérience des prodiges, comme c'est l'usage commun chez les Étrusques. Elle embrassa son mari et lui ordonna d'espérer un sort élevé et brillant : "cet oiseau était venu, messager de ce dieu, de cette région du ciel ; il avait accompli son prodige sur la partie la plus élevée de l'homme, il avait élevé en l'air l'ornement placé sur la tête humaine, pour le lui rendre sur l'ordre d'un dieu".