Texte d'étude et traduction

Tibère et l'esclave de l'atrium (Phèdre)

Buste de l'empereur Tibère conservé au Ny Carlsberg Glyptotek, Copenhague.Informations[1]

Est ardalionum quaedam Romae natio,

trepide concursans, occupata in otio,

gratis anhelans, multa agendo nil agens,

sibi molesta et aliis odiosissima.

Hanc emendare, si tamen possum, uolo

uera fabella ; pretium est operae attendere.

Caesar Tiberius cum petens Neapolim

in Misenensem uillam uenisset suam,

quae, monte summo posita Luculli manu,

prospectat Siculum et respicit Tuscum mare,

ex alte cinctis unus atriensibus,

cui tunica ab umeris linteo Pelusio

erat destricta, cirris dependentibus,

perambulante laeta domino uiridia,

alueolo coepit ligneo conspargere

humum aestuantem, iactans officium comes :

sed deridetur. Inde notis flexibus

praecurrit alium in xystum, sedans puluerem.

Agnoscit hominem Caesar, remque intellegit :

'Heus!' inquit dominus. Ille enimuero adsilit,

donationis alacer certae gaudio.

Tum sic iocata est tanti maiestas ducis :

« Non multum egisti et opera nequiquam perit;

multo maioris alapae mecum ueneunt ».

Phèdre, "Fables", II,5.

Écoutez attentivement la lecture du texte :

Tibère et l'esclave de l'atrium (1:48)
Informations[2]

Éclaircissements linguistiques

  1. Ardalio, onis : probablement le nom d'un personnage comique comparable à notre « mouche du coche » : le nom est devenu une antonomase.

  2. Pretium est operae attendere : pretium est operae = expression lexicalisée signifiant "il vaut la peine de" ; attendere : "prêter l'oreille", "prêter attention".

  3. Caesar Tiberius : l'empereur Tibère (14-37 ap. J-C).

  4. Misenensem uillam : Tibère aimait particulièrement cette villa, située sur le cap Misène, à l'Ouest du golfe de Naples. Elle avait été construite par Marius, puis le fastueux général Lucullus l'avait rebâtie luxueusement. Tibère y mourut en 37, assassiné par le préfet Macron.

  5. Prospectat : « voit au loin » ; despicit : « voit d'en haut, à ses pieds ».

  6. alte cinctus, a, um : « dont la ceinture monte haut » ; ces esclaves étaient vêtus d'une tunique serrée par une ceinture, ici une luxueuse écharpe, à laquelle ils attachaient les pans de leur tunique pour être plus libres de leurs mouvements.

  7. Atriensis, is : esclave de l'atrium. D'abord maître d'hôtel, l'atriensis était devenu à cette époque une sorte de concierge chargé d'introduire les visiteurs et d'entretenir l'atrium.

  8. Linteum Pelusium : écharpe en toile de lin de Pélouse, ville égyptienne du delta du Nil.

  9. Cirris dependentibus : cirrus, i = « la frange » ; ablatif absolu, décrivant « linteo ».

  10. comes : compagnon, accompagnateur. Ici l'esclave accompagne l'Empereur, en se tenant à sa hauteur.

  11. notis flexibus : par des détours connus (flexus, us).

  12. Cæsar : il s'agit ici d'un titre donné aux empereurs, depuis Auguste, en hommage à Jules César.

  13. Tanti maiestas ducis = tantae maiestatis dux ; c'est la figure de l'abstraction.

  14. Alapae : soufflets, gifles que donnait un maître à son esclave devant le magistrat, pour signifier qu'il l'affranchissait.

  15. Vēneunt : 3ème personne du pluriel du verbe uēneo, is, ire, uenii, uenitum, venir en vente, être vendu. À ne pas confondre avec uĕnio, is, ire, ueni, uentum, venir !

Traduction

Il est à Rome une race de casse-pieds s'agitant et courant de tous côtés, affairés sans affaires, s'essoufflant sans motif, ne faisant rien en faisant beaucoup, aussi ennemis de leur repos qu'insupportables aux autres. C'est elle que, si je pouvais, je voudrais corriger par le récit de cette anecdote vraie : il vaut la peine d'y prêter l'oreille.

L'empereur Tibère en allant à Naples s'était arrêté dans sa villa du cap Misène, qui a été bâtie sur une hauteur par les soins de Lucullus et qui découvre au loin la mer de Sicile et voit à ses pieds celle d'Étrurie. Un des esclaves de l'atrium, au vêtement relevé, dont la tunique était serrée sous les bras par une écharpe de lin de Péluse aux franges pendantes, se mit, tandis que le prince parcourait les riants bosquets, à répandre de l'eau avec un arrosoir de bois sur la terre brûlante, en étalant son zèle. Mais Tibère se contente d'en rire. Alors par des détours connus de lui l'esclave devance le prince dans une autre allée en abattant la poussière. César reconnaît le personnage et comprend son intention. « Holà ! » lui crie le maître. L'esclave arrive d'un bond, transporté de joie à la pensée d'une récompense certaine. Alors ce grand souverain lui dit en plaisantant : « Tu n'as pas fait là grand'-chose et ta peine est perdue. C'est bien plus cher que se vendent chez moi les soufflets d'affranchissement. »

Complément

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