Ronsard, "Quand vous serez bien vieille", Sonnets pour Hélène II, 24.
Dernière partie des "Amours", dédiés à Hélène de Surgères, suivante de Catherine de Médicis, et qui avait perdu son fiancé. Ronsard s'éprend d'elle, mais elle reste indifférente.
1578 : le poète est déjà âgé (54 ans) ==> amour de la maturité, pathétique de la différence d'âge.
Sonnet marotique (aBBa, aBBa, CCd, EEd), qui commence et s'achève par des rimes féminines.
Un portrait inhabituel de la femme aimée.
Champ sémantique de la décrépitude : vieille, soir, temps, vieille accroupie
Un tableau : foyer, chandelle : espace étroit, peu éclairé ; "dévidant et filant" : occupation traditionnelle de la femme, et image de Pénélope, mais surtout de la Parque. Filer "en chantant des vers" : tonalité à la fois intime (une seule servante, image du déclin ?) et amère : "du temps que j'étais belle". Hypotypose :évoque un tableau de Brueghel.
Réalisme cru de ce tableau :
"une vieille accroupie". Il faut attendre Rimbaud pour retrouver
pareille audace. Les sonorités accentuent le grincement : "bien
vieille" ou "vous serez au foyer une vieille
accroupie"
effet de chiasme : [ou] [R][é][yé] [yé] [R] [ou]
La femme est présente dès le
début : "vous", alors que le poète n'apparaît qu'aux vers 4 et
7, et désigné par son nom : distance par rapport à soi, et sonorité du
nom [Ronsard] ; le "je" n'apparaît qu'au vers 9. Il est lié
alors à l'évocation de la mort, et apparaît comme une forme désincarnée
: "fantôme sans os", comme chez Homère ou Virgile.
"Ombres" au masculin au XVIème siècle. Polysémie :
"ombre des myrtes" ou ombres couronnées de myrtes, c'est à dire
ombre des poètes ? L'image de la mort est moins rude que celle de la
vieillesse !
Le "je" et le "vous" sont en opposition : "vous
serez" / "je serai" ; "mon amour" / "votre
fier dédain" : un amour impossible.
Célébration de la poésie : poésie de la célébration.
Dans ce tableau à la Brueghel, apparaît un événement qui réveille le nom, le "bruit" de Ronsard :
bruit du nom (les syllabes)
éclat, retentissement (gloire) ==> nouvel effet de polysémie.
Le tout dans une scène familière, qui ne manque pas d'humour : la servante somnole, et c'est le nom de Ronsard qui la réveille !
[NB : oyant =
participe présent du verbe "ouïr" :
présent : j'ois, tu ois, il oit, nous oyons, vous oyez, ils oient
imparfait : j'oyais.... nous oyions...
passé simple : j'ouïs... nous ouïmes...
futur : j'oirai ou j'orrai... nous oirons ou orrons...
impératif : oyons, oyez
participe : oyant : ouï
Verbe peu employé sauf au participe ou à l'infinitif, il signifie
"entendre" ou "écouter" ; dans le langage juridique : ouïr
des témoins ; langage courant : ouï-dire.]
Poésie de la célébration :
"Ronsard me célébrait", "bénissant votre nom", "louanges immortelles" : la poésie immortalise celle qui en est l'objet : elle est plus forte que la vieillesse, plus forte même que la mort (cf. Marie) : conception pétrarquisante de la poésie.
Célébration de la poésie :
Pas de fausse modestie chez Ronsard. "mes vers" : "émerveillant" ==> mes vers = merveille (quasi paronomase). Répétition à deux reprises du nom de Ronsard, à une place décisive dans le vers : à l'hémistiche ou au début. Voir aussi la différence de traitement entre les "ombres myrteux" et la "vieille accroupie" !
Morale philosophique et morale galante :
Structure du poème : 12 vers au futur, 2 à l'impératif ==> une sorte de fable, prémonitoire, débouchant sur une moralité double.
"vivez si m'en croyez, n'attendez à demain"
"cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie"
Structure en chiasme vie/ adverbes de temps. Evoque le "carpe diem" d'Horace ; morale épicurienne, avec un aspect plus sensuel. Rose = beauté, charme, sensualité (cf. Mignonne allons voir si la rose...) et évoque aussi la précarité de la beauté. La cruauté de l'évocation s'oppose à l'harmonie du dernier vers : [z], [i], avec rime intérieure "aujourd'hui : vie" et répartition des accents :
"cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie"
Beaucoup plus qu'une morale philosophique, une morale galante.