Jean RACINE, Britannicus (1669)

Une pièce historique ? Une pièce psychologique ? Le tragique dans Britannicus
Bibliographie  

Une pièce psychologique ?

Britannicus représente un moment dans la vie des personnages, une crise : le moment où Néron bascule, et devient un "monstre naissant".

Une psychologie conventionnelle

Des personnages plus complexes


Britannicus, une pièce historique ?

Avec Britannicus (1669), Bérénice (1670) et Mithridate (1673), Racine compose une sorte de triptyque portant sur l'Histoire romaine ; mais la dernière porte sur la fin de la République, les deux autres sur la période impériale. Toutes trois ont pour sujet la prise du pouvoir et sa légitimité, en particulier Britannicus. Depuis Auguste, aucun fils n'a succédé à son père ; en revanche, Tibère, en faisant assassiner Agrippa Postumus, dernier petit-fils d'Auguste, a donné un exemple de meurtre fondateur, suivi par Caligula, qui fit tuer son co-héritier, le petit-fils de Tibère. L'absence de loi successorale claire à Rome, la nature indécise du régime, qui ne veut pas s'avouer comme une monarchie, rendaient presque inévitables de telles violences.

Les éléments de la préface

Importance de l'histoire dans la pièce

Des distorsions historiques :

Ajoutons une "naturalisation" de la scène et des personnages : la "cour" à laquelle il est fait allusion est celle de Louis XIV, les personnages s'expriment comme des courtisans du XVIIème siècle, et d'ailleurs ils ne jouent nullement en costumes romains, mais en habits qui ne les distinguent pas des spectateurs.

Enfin, il n'y a ni pensée politique, ni vision de l'Histoire : Agrippine est avant tout une mère abusive ; son fils conteste son influence, mais non le régime lui-même (pas plus que ne le feront Burrhus ou Britannicus) ; l'absence du personnage de Sénèque accentue encore cette absence de vision politique. C'est une affaire privée qui se déroule devant nous, tout comme dans Bérénice. C'est une différence majeure avec Euripide – ou même Corneille (voir Cinna, p. ex)

Une fidélité littéraire :

Si l'on considère que les historiens, et plus généralement les auteurs de l'antiquité, étaient avant tout considérés comme des modèles littéraires, Racine leur a été de ce point de vue parfaitement fidèle, et il était normal qu'il accepte certaines distorsions historiques, pour mieux restituer le sens, et l'atmosphère créée par Tacite.

- Dans la scène entre Burrhus et Néron (IV, 3), les tirades de Burrhus sont entièrement inspirées du De Clementia de Sénèque, une manière de rendre celui-ci présent malgré tout ;

- Le long discours qu'Agrippine tient à son fils (IV, 2) est transposé d'un passage de Tacite (Annales XIII, 14, 2-3) ; mais ici elle ne le menace pas de présenter Britannicus aux légions, ce qui eût été contre-productif, et dangereux pour le jeune homme ; cette menace est présente quelques vers plus haut, adressés à Burrhus (III, 3, v. 839-841)

Conclusion :

L'Histoire est donc, pour Racine comme pour ses contemporains, une source littéraire, dont les détails peuvent être modifiés, tant que les personnages en demeurent vivants et qu'ils parlent aux contemporains. Le Néron de Racine n'est peut-être pas conforme à la vérité historique, telle que les historiens contemporains, les archéologues, les numismates ont pu la restituer ; mais il est un personnage littéraire fascinant, ambigu, un personnage de fiction.


Le tragique dans Britannicus.

Le tragique évoque une situation où l'homme prend douloureusement conscience d'un destin ou d'une fatalité qui pèse sur sa vie, sa nature ou sa condition même. 

Adaptée à la définition de la tragédie du XXème siècle (voir par exemple la définition qu'Anouilh en donne dans Antigone), elle correspond peu, à vrai dire, à la tragédie classique, qu'il s'agisse de la tragédie galante (Quinault, Pradon), de Corneille, ou même de Racine. Elle ne convient guère, notamment, à Britannicus.

Est-ce à dire, pourtant, que Britannicus ne serait pas tragique ?

Une transcendance absente : une tragédie purement humaine.

Le tragique ne vient pas d'un au-delà ; il est purement humain. Ses ressorts sont psychologiques, ou politiques. Il n'y a aucune allusion au destin : si Agrippine doit être tuée par son propre fils (v. 893, 1281, 1700), c'est après la pièce – et cela répond aux mêmes ressorts politico-psychologiques que ses propres meurtres. Et quand Néron parle de destin (III, 8, v. 1041), c'est par dérision.

Un tragique humain.

Toute l'intrigue repose sur une question : que va devenir Néron ? Il peut opter pour le bien, comme la tragédie le suggère en creux : il reste un Empereur vertueux (I, 2), il renonce à Junie (III, 1), il se réconcilie avec Britannicus (V, 1) ==> il n'y a plus de tragédie !

Mais ce choix est impossible :

Un enchaînement implacable comme une malédiction :

L'aveuglement tragique.

Autre forme de tragique : à aucun moment les personnages ne voient l'issue qui pourrait les sauver, le danger qui les menace.

Les seuls personnages clairvoyants sont impuissants (Burrhus) et ne sont pas écoutés :

A la force du destin, ici psychologique, s'ajoute une série d'erreurs tragiques qui précipitent les faits.

Terreur et Pitié.

En 1669, Racine crée avec Britannicus une tragédie "laïque" où la psychologie (liens mère/fils, hérédité, passion...) remplace la forme transcendantale ou divine du destin : l'on n'est plus chez Sophocle ! Les hommes sont seuls... Mais les principaux ressorts de la tragédie, terreur et pitié, aveuglement tragique, sont présents, dans la plus pure tradition aristotélicienne.


Bibliographie :