Cours de Mme Tillard - 1ère L 2.
LE
POUVOIR DES FABLES
A
MONSIEUR DE BARILLON[1] La
qualité d’ambassadeur Peut-elle s’abaisser à des contes vulgaires ? Vous puis-je offrir mes vers et leurs grâces légères ? S’ils osent quelquefois prendre un air de grandeur Seront-ils pas traités par vous de téméraires ? Vous avez bien d’autres affaires A démêler que les débats Du lapin et de la belette, Lisez les, ne les lisez pas ; Mais empêchez qu’on ne nous mette Toute l’Europe sur les bras.[2] Que de mille endroits de la terre Il nous vienne des ennemis, J’y consens ; mais que l’Angleterre Veuille que nos deux rois se lassent d’être amis, J’ai peine à digérer la chose. N’est-il point encor temps que Louis se repose ? Quel autre Hercule enfin ne se trouverait las De combattre cette hydre ? et faut-il qu’elle oppose Une nouvelle tête aux efforts de son bras ?[3] Si votre esprit plein de souplesse, Par éloquence et par adresse, Peut adoucir les cœurs et détourner ce coup,[4] Je vous sacrifierai cent moutons : c’est beaucoup Pour un habitant du Parnasse ; Cependant, faites-moi la grâce De prendre en don ce peu d’encens ; Prenez en gré mes vœux ardents, Et le récit en vers qu’ici je vous dédie. Son sujet vous convient, je n’en dirai pas plus : Sur les éloges que l’envie Doit avouer qui vous sont dus, Vous ne voulez pas qu’on appuie.
Dans Athène[5] autrefois, peuple vain et léger, Un orateur, voyant sa patrie en danger, Courut à la tribune ; et d’un art tyrannique, Voulant forcer les cœurs dans une république, Il parla fortement sur le commun salut. On ne l’écoutait pas. L’orateur recourut A ces figures violentes Qui savent exciter les âmes les plus lentes : Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu’il put. Le vent emporta tout, personne ne s’émut ; L’animal aux têtes frivoles[6] Etant fait à ces traits, ne daignait l’écouter ; Tous regardaient ailleurs ; il en vit s’arrêter A des combats d’enfants, et point à ses paroles. Que fit le harangueur ? Il prit un autre tour. « Cérès, commença-t-il, faisait voyage un jour Avec l’anguille et l’hirondelle ; Un fleuve les arrête ; et l’anguille en nageant, Comme l’hirondelle en volant, Le traversa bientôt. » L’assemblée à l’instant Cria tout d’une voix : « Et Cérès[7], qui fit-elle ? - Ce qu’elle fit ? Un prompt courroux L’anima d’abord contre vous. Quoi ? De contes d’enfants son peuple s’embarrasse ! Et du péril qui le menace Lui seul entre les Grecs il néglige l’effet ! Que ne demandez-vous ce que Philippe fait ! » A ce reproche l’assemblée, Par l’apologue réveillée, Se donne entière à l’orateur : Un trait de fable en eut l’honneur. Nous
sommes tous d’Athène en ce point, et moi-même, Au moment que je fais cette moralité, Si Peau d’âne[8] m’était conté, J’y prendrais un plaisir extrême. Le monde est vieux, dit-on : je le crois ; cependant Il le faut
amuser encor comme un enfant.
|
1ère partie :
¨ Flatterie et humour à l’égard du dédicataire, M. de Barillon : montrez que La Fontaine se montre à la fois flatteur et familier à l’égard de l’ambassadeur.
¨ A qui compare-t-il Louis XIV ?
¨ Y a-t-il d’autres allusions à l’antiquité grecque ?
2ème partie :
¨ Quels sont les protagonistes de cette fable ?
¨ Quelles sont les différentes étapes du récit ?
¨ Qui est Philippe ? Peut-on en déduire l’identité de l’orateur ?
¨ Quelle est la moralité de la fable ? Reformulez-la. S’agit-il cette fois d’une leçon de morale ? Quelle place se donne le narrateur ?
¨ Expliquez le titre de la fable.
Que peut-on déduire des trois fables de La Fontaine étudiées, ainsi que du conte de Saltykov-Chtchédrine ? Qu’est-ce qu’un apologue ? Quelle est la place du récit dans ce genre de texte ? A quoi sert-il ?
TRAVAIL D’ECRITURE
Rédigez (en vers ou en prose, au choix), une fable
de votre invention sur un sujet contemporain.
Critères de jugement :
- construction et agrément du récit ; caractérisation des personnages (animaux ou humains) : le récit doit être plaisant.
- Pertinence du récit : la logique du récit doit mener à la conclusion à laquelle on souhaite conduire le lecteur ;
- Clarté et pertinence de la moralité, qui doit figurer explicitement à la fin du récit.
- Qualité de l’expression : grammaire, orthographe, style.
[1] Ambassadeur de France en Angleterre. Il présenta ses lettres de créance à Charles II le 1er septembre 1677. Il avait charge de maintenir le roi, en dépit de son Parlement, dans l’alliance française, et de faire ce qu’il fallait pour cela, en prodiguant l’argent et les autres moyens de séduction. C’était un ami de Mme de Sévigné.
[2] C’est à dire empêchez que l’Angleterre ne se joignent aux autres coalisés (la Hollande, l’Espagne, l’Empire et la Suède.
[3] Allusion à l’hydre de Lerne, dont les têtes repoussaient à mesure qu’Hercule les coupait.
[4] le 10 janvier 1678, Charles II concluait effectivement un traité d’alliance avec la Hollande.
[5] En prose, il faudrait écrire Athènes ; licence poétique.
[6]Souvenir d’Horace disant au peuple romain (Epîtres I,I, 76) : « tu es un monstre à plusieurs têtes ».
[7] Athènes était la ville d’Athéna (la Minerve grecque), mais Cérès y était aussi vénérée.
[8] Il s’agit ici non du conte de Perrault, paru en 1694, mais sans doute d’une tradition orale que La Fontaine devait connaître.