Étude du 1er chapitre, le bois de la Saudraie" | Structure du roman | La Convention dans le roman | Chronologie de la Convention |
Le massacre de la St Barthélémy (III, III, 1-6) : étude d'ensemble | La Guerre de Vendée dans le roman | Gauvain, Cimourdain, Lantenac : les protagonistes. | Le Cachot, III, VII, 5, de "on ne sait quelle sérénité terrible" à "le cachot se referma" |
Quatre-vingt-treize est le dernier roman de Victor Hugo ; il l'a écrit au lendemain de la Commune, mais l'a longtemps porté en lui.
Ce livre est donc un
Dans les années 1870-75, l'ordre moral règne en France après l'écrasement de la Commune. Les premières œuvres de Manet, de Courbet sont ignoblement traitées par ceux-là mêmes, Dumas fils en tête, qui refusaient de parler "des femelles des Communards", par respect pour les femmes "auxquelles elles ressemblent quand elles sont mortes". C'est le même Dumas fils qui crachera plus tard sur la tombe de Victor Hugo.
L'occupation prussienne n'empêche pas les possédants de dormir. Thiers après tout a eu l'essentiel : le massacre du peuple de Paris.
Le 16 décembre 1872, Hugo commence à rédiger son roman.
On arrête, on fusille encore ou on condamne à perpétuité (et jusqu'en 1874) ceux qui ont échappé au massacre de la Semaine sanglante. Au début de l'année 1873, 1250 personnes seront déportées en Nouvelle Calédonie.
En 1876, Hugo écrit : "Personne ne peut passer dans certains quartiers de Paris sans un serrement de cœur". On assiste encore à un incroyable déversement d'insultes sur les Vaincus... et sur Hugo.
Hugo n'a pas compris ni approuvé la Commune ; mais dans ses poèmes inspirés par l'Année terrible, il a su qu'elle annonçait des temps nouveaux :
"C'est quelque chose d'âpre et de grand qui commence,
C'est le siècle nouveau qui de la brume sort [...]
Le monde attend la suite et veut d'autres essais,
Nous entendrons encor des ruptures de chaînes
Et nous verrons encor frissonner les grands chênes."
Et en 1876 encore, Hugo se bat pour l'amnistie des Communards !
Quatre-vingt-treize est un livre de combat, qui suscita de violentes réactions de la presse de droite.
Les pages indiquées correspondent à l'édition Press Pocket (1988)
EN MER | ||
I – Le Bois de la Saudraie | p. 21-35 | Derniers jours de mai 1793 |
II – La corvette Claymore | p. 35-78 | 2 juin 1793 |
III – Halmalo | p. 79-85 | 3 juin 1793 |
IV – Tellmarch | p. 97-124 | 3-4 juin 1793 |
À PARIS | ||
I – Cimourdain (introduction historique) | p. 133-151 | |
II – Le Cabaret de la rue du Paon | p. 151-170 | 28 juin 1793 |
III – La Convention | p. 181-208 | 29-30 juin |
EN VENDÉE | ||
I – La Vendée (introduction historique) | p. 217-238 | |
II – Les trois enfants | p. 239-316 | Juillet 1793 |
III – Le massacre de la St Barthélémy | p. 317-334 | août 1793 |
IV – La mère | p. 335-397 | Pas de date précise, mais quelques jours seulement |
V – In daemone deus | p. 399-416 | |
VI – C'est après la victoire qu'a lieu le combat | p. 417-436 | |
VII – Féodalité et révolution | p. 437-473 |
Le bicentenaire de la naissance de Victor Hugo a donné lieu à de nombreuses publications intéressantes. Citons quelques titres à consulter :
Nous sommes en mai 1793 : voir la chronologie.
C'est une femme du peuple, mais à des années-lumière du peuple parisien, informé, extrêmement politisé (plus qu'à aucun autre moment de l'histoire, grâce notamment aux clubs. C'était le cas dans la plupart des villes). Elle ne sait rien. Totalement ignorante, elle est trop pauvre pour avoir une conscience ; ce sera aussi le cas de Tellmarch le "caimand". C'est une des explications de la Vendée, par l'obscurantisme et la manipulation des prêtres, des Nobles. Voir III, I, 1 à 6, et notre étude sur la Vendée.
Mais surtout, c'est l'apparition d'une figure qui a sa grandeur tragique par la passion exclusive qui l'anime : l'amour maternel (pendant de Cimourdain pour l'amour paternel ?) L'amour rend sublime, mais perd aussi les héros.
Ce texte présente donc une ouverture, mettant face à face les deux partis, mais avec une nette préférence :
Les Parisiens, républicains, rudes mais humains, doués d'une forte conscience politiques (eux savent pourquoi ils sont là,pourquoi ils se battent), ayant participé activement à la Révolution (allusion aux clubs)
Les paysans vendéens, totalement ignorants, incapables de comprendre le sens des événements qu'ils subissent, victimes de ce qu'on appellera plus tard l'aliénation.
L'opposition entre les deux femmes (les deux seules du roman si l'on excepte la petite Georgette qui n'a pas deux ans) ; mais l'une mourra, victime d'un massacre perpétré par les Vendéens ; l'autre, figure quasi mystique, semble indestructible, puisqu'elle survivra à tout, même à la fusillade !
La Convention occupe une place centrale dans le roman, par l'endroit où elle se situe – au cœur de l'œuvre -, par son rôle dans l'intrigue (c'est elle qui décide de la guerre totale en Vendée, qui envoie Gauvain comme général, et Cimourdain pour le surveiller), et par l'apparition du personnage de Cimourdain.
Portrait des trois hommes identifiés dans le titre comme les trois juges des Enfers. Hugo ne les sépare pas, ne les oppose pas. Il existe des divergences entre eux, mais entre eux et les Girondins, c'est une lutte à mort. Marat sera tué durant l'été 1793. Danton, fin 1793, se rallie aux "Indulgents", et sera arrêté en 1794. Les caractères sont authentiques.
Le 9 Thermidor, qui verra la chute de Robespierre et sa mort, donne raison à Marat.
Hugo écrit ici plus en poète de l'histoire. Le 21 septembre : fin de l'assemblée législative qui laisse la place à la Convention ; c'est aussi le jour de Valmy, victoire décisive qui marque un coup d'arrêt à l'invasion étrangère. Enfin, la République est proclamée.
le procès de Louis XVI a été une ombre sur la Convention ; mais Hugo termine par le caractère hautement créateur de cette assemblée (I IX)
On assiste au travail de Hugo historien, pour qui le sens des événements l'emporte sur la stricte exactitude des faits. Ainsi, dans le Cabaret, les discours des trois hommes sont plausibles, ils ont été prononcés ailleurs ; Hugo s'attache à créer une ambiance, par une multitude de petits faits, de petites phrases, d'anecdotes ; enfin, il nous offre une vue d'ensemble d'une époque clé : cf. la fin du passage.
Un combat de géants entre des forces primitives et fondamentales : l'ancien / le nouveau, les Titans / les Dieux.
Observons de près le chapitre I, XI ("Esprits en proie au vent").
Noter les métaphores : le vent, l'océan... les hommes ne sont que les instruments d'une histoire qui les dépasse ; la Révolution, l'histoire se fait par eux, mais ils n'en sont pas les auteurs. Cette conception est à rapprocher de celle de Kant – sauf que là où Kant, qui est un rationaliste et un homme des Lumières, parle de Raison, Hugo qui est un mystique parle de Dieu, de Destin, de Nécessité. Mais l'un comme l'autre croient en un sens de l'Histoire, dans le sens du progrès.
Là où Kant préconise l'action patiente, réformatrice, rationnelle de "politiques moraux" attachés à modifier sans heurts les institutions existantes dans le sens de la République et de la Paix, (Voir Appendice du Projet de paix perpétuelle) Hugo se laisse emporter par le souffle épique de la Révolution.
Dans le chapitre II, on voit Marat réactiver le décret "portant peine de mort contre toute connivence dans les évasions de brigands et d'insurgés prisonniers" : Hugo prépare là évidemment son dénouement.
Par ailleurs, on assiste à la mise en place d'une guerre totale : d'un côté, la Convention décrète que "toute ville qui donnerait asile aux rebelles serait démolie et détruite", d'autre part, les Émigrés et leurs alliés étrangers proclament que "tout Français pris les armes à la main serait fusillé, et que si un cheveu tombait de la tête du roi, Paris serait rasé". Et Hugo de conclure : "Sauvagerie contre barbarie".
C'est que la guerre qui nous est ici présentée diffère de celles qu'Aristophane, ou Kant, connaissaient. Dans les deux cas, il s'agissaient de conflits armés décidés par les dirigeants ou les princes, sans que les peuples ne se sentent réellement concernés. Chez Aristophane, par exemple, l'opposition idéologique existant entre l'aristocratique et guerrière Sparte, et la démocratique Athènes, n'est pas mentionnée ; la guerre semble plutôt avoir pour origine le choc de deux impérialismes.
Chez Kant, comme chez Voltaire ou Damilaville, la guerre a essentiellement pour origine l'intérêt, la cupidité ou le caprice des princes.
Dans ce type de guerre, le but est de préparer les futures négociations de paix, en se trouvant dans la position la plus favorable possible ; les "articles" de Kant sont alors applicables.
Dans le cas de la Convention, la situation est différente : il s'agit d'un conflit idéologique, dans lequel chacun des deux camps estime avoir seul le droit, la raison, la justice pour lui ; le but n'est plus alors la négociation, qui n'est pas envisageable (peut-on transiger sur un idéal ?), mais la soumission ou l'élimination pure et simple de l'ennemi.
Celui-ci n'est plus envisagé comme un futur partenaire, mais comme l'incarnation du Mal absolu, qu'il convient de détruire. Cela va parfois jusqu'à nier son appartenance à l'espèce humaine !
Dans ce cas, il ne pourra y avoir de paix que par l'écrasement de l'un des deux camps, ou par l'excès même de la violence qui rendra la poursuite de la guerre impossible pour chacun des deux. Le combat en somme, ne cessera que faute de combattants...
Les trois enfants, René, Gros-Alain et Georgette sont otages du Marquis de Lantenac, prisonniers dans la bibliothèque de la Tourgue, et livrés à eux-mêmes.
L'éveil, l'imitation du frère aîné, mais un caractère affirmé de chacun : Gros-Alain est l'inventeur, Georgette se montre indépendante. Un moment de bonheur : observation profonde mais vite distraite des animaux (le cloporte, l'abeille, l'hirondelle) ; le gazouillis des enfants, leur langage ; les gestes, notamment ceux de la petite (lorsqu'elle va rejoindre ses frères).
Humour et tendresse de la description : dignité du "j'ai mangé ma soupe" de René-Jean ; maladresse de Georgette ; image de la traversée marine (ch. II) ; observation ; jeu du cheval...
Le langage de l'enfant est aux yeux de Hugo la voix même de Dieu, et la preuve de son existence :
"Ce qu'un oiseau chante, un enfant le jase. C'est le même hymne. Hymne indistinct, balbutié, profond. L'enfant a de plus que l'oiseau la sombre destinée humaine devant lui. [...] Le cantique le plus sublime que l'on puisse entendre sur la terre, c'est le bégaiement de l'âme humaine sur les lèvres de l'enfance." (p. 318)
Ce passage préfigure L'Art d'être grand-père, qu'il publiera en 1877.
Mais voilà que les enfants découvrent un livre rare et précieux sur un lutrin : les trois "anges", déjà devenus "trois petits faunes" après s'être barbouillés de mûres, vont se métamorphoser en "anges de proie", pris d'un "amour terrible" pour l'image de Saint Barthélémy et pour tout le livre, au point de le détruire méthodiquement.
On sent une jubilation terrible dans cette scène de destruction, que marque le vocabulaire épique et tragique : "moment effrayant", "aventures des conquérants", "gloires", "terreur"... Il faut noter qu'à ce moment, les enfants, figures de la paix, se métamorphosent en figures de la guerre : René-Jean "terrasse" le livre ; les enfants sont pris d'un "appétit de destruction" marqué par l'accumulation, quasi rabelaisienne, des participes présents (déchirant, balafrant, arrachant, égratignant, décollant, déclouant, cassant, déchiquetant, travaillant...)
Anéantissement montré par l'accumulation des termes de destruction, qui se terminent en apothéose par "ce fut une extermination".
L'image est donc à la fois plaisante et inquiétante : l'écrivain Hugo ne partagerait-il pas un peu de la jubilation des enfants à l'encontre d'un livre, se livrant ainsi au plaisir du sacrilège ?
La scène, en tous cas, échappe à toute mièvrerie : la sauvagerie de l'enfance, et donc de la nature humaine à l'état pur, est montrée.
Cela pourrait être aussi une explication des guerres que se livrent les adultes. Kant décrivait déjà l'humanité comme "un peuple de démons", doué d'une "insociable sociabilité", et bien plus tard, Freud confirmera que l'homme n'est pas un être doux ni bienveillant... Hugo n'a donc que peu d'illusions sur la nature humaine, capable parfois du meilleur (La Vivandière sauvant les enfants et leur mère, Lantenac se sacrifiant pour sauver les petits...) mais plus souvent du pire.
L'une des causes de la guerre ne serait-elle pas, justement, dans cet "appétit de destruction" qui prolonge les conflits ? N'y a-t-il pas, aussi, un plaisir sauvage de la guerre et de la violence ?
On peut enfin s'interroger sur les sentiments de Hugo à l'égard de ces enfants : en effet, il manque plusieurs fois de les tuer (ainsi que la mère) :
Hugo ne joue-t-il pas avec la tentation, toujours repoussée, de massacrer les enfants ? Ces trois marmots ne constituent-ils pas pour lui l'inverse de l'Art d'être grand-père ?
Le roman se déroule entre fin mai (Livre I) et mi-août 1793, alors que la guerre a éclaté en mars.
"A cette heure, dans cette armée de paysans, il y a des héros, il n'y a pas de capitaines. D'Elbée est nul, Lescure est malade, Bonchamps fait grâce ; il est bon, c'est bête. La Rochejaquelein est un magnifique sous-lieutenant ; Silz est un officier de rase campagne, impropre à la guerre d'expédients ; Cathelineau est un charretier naïf, Stofflet est un garde-chasse rusé, Bérard est inepte, Boulainvilliers est ridicule, Charette est horrible. Et je ne parle pas du barbier Gaston. Car, mordemonbleu ! à quoi bon chamailler la révolution et quelle différence y a-t-il entre les républicains et nous si nous faisons commander les gentilshommes par des perruquiers ?"
Or
Ce mouvement sera brisé le 29 juin lorsqu'ils échouent à Nantes, et que Cathelineau est tué.
La Bataille de Dol a lieu fin juillet, alors que l'armée vendéenne, privée de son chef Cathelineau, doute d'elle-même : la Vendée s'est transportée en Bretagne.
L'armée Vendéenne essuie une deuxième défaite à Luçon, tandis que Kléber s'apprête à arriver : c'est le début de la débâcle pour les Vendéens.
Le roman nous raconte une bataille imaginaire, mais symbolique : la Tourgue. Hugo se montre plus romancier qu'historien.
Hugo exprime à plusieurs reprise, et de manière très claire, sa position à l'égard de cette guerre :
Hugo exprime une position peu différente de celle de l'historien Soboul (cf. bibliographie) :
Enfin, Hugo marque les limites de la Vendée : passer la Loire, s'emparer de Paris lui était impossible ; Hugo anticipe alors sur la tragique "virée de Galerne" :
"Passer la Loire était impossible à la Vendée. Elle pouvait tout, excepté cette enjambée. La guerre civile ne conquiert point. Passer le Rhin complète César et augmente Napoléon ; passer la Loire tue La Rochejaquelein."
Ajoutons que les chefs Vendéens en étaient les premiers conscients, et qu'ils assistèrent, impuissants, à la ruée d'une foule hétéroclite se jetant sur les bateaux à Saint-Florent le Vieil...
Chef de la Vendée, émigré, envoyé d'Angleterre pour préparer la guerre de Vendée, unir les insurgés, préparer l'invasion anglaise. Son obsession : mener une "vraie" guerre (c'est un Noble, donc un officier de métier),et pour cela, il a besoin des Anglais...
Il affecte un profond mépris pour la Révolution : attachement forcené à la Religion, au Roi, à son rang d'aristocrate.
Personnage ambigu : du mauvais côté de la barricade, c'est un manipulateur, du côté de l'obscurantisme (il est satisfait qu'Halmalo ne sache pas lire, et il "retourne" celui-ci, dont il a pourtant fait exécuter le frère...) ; il n'en est pas moins un héros : épisodes de la corvette, bataille de Dol (III, II, 13). Apparemment âgé, c'est une force de la nature.
Ce sont pourtant les enfants (qu'il a lui-même conduits à leur perte) qui vont le transfigurer : III, V, 1-2. Par pitié pour la mère ? ou pour les enfants ? Hugo ne le dit pas : il se contente de donner les faits.
Député du Comité de Salut public, il est le pendant exact de Lantenac : un fanatique, bien qu'il soit "du bon côté" : aussi impitoyable que le marquis, et professant le même mépris de la vie. Son portrait (II, 1-2) présente bien des aspects inquiétants : il est ce qu'on appellera bien plus tard un "apparatchik"...
Il n'a qu'une seule passion : l'amour paternel pour son élève, Gauvain (cf. "un coin non trempé dans le Styx", II, I, 3, p. 148-150), et III, IV,6 : il ne survivra pas à la mort de Gauvain, qu'il a lui-même provoquée par fidélité à ses idées.
Son portrait, lors de la bataille de Dol (III, II, 2 p. 248) témoigne d'un raffinement aristocratique à l'opposé de la rudesse de Cimourdain. Jeune militaire brillant, noble ayant pris le parti de la Révolution, il est entre Lantenac et Cimourdain, petit-neveu de l'un, fils adoptif de l'autre. Courageux mais humain, il place les valeurs humaines au-dessus de sa propre cause : "c'est un clément", constate avec dépit Cimourdain : cf. III, II 5 et 7, longue discussion de Gauvain et Cimourdain sur la clémence, et p. 430-431, longue hésitation de Gauvain : doit-il épargner Lantenac ?
Ils sont semblables et opposés. Mépris de grand seigneur de la part du Marquis pour un prêtre qui a été à son service, mais vite duel d'égal à égal : cf. p. 415 : " – Je t'arrête. – Je t'approuve." Et p. 304-305 (III, II, 11) : passage essentiel, dans lequel Hugo les renvoie dos à dos, sauf que Cimourdain, malgré tout, reste du côté de la lumière. On peut aussi noter le parallélisme : Lantenac fait exécuter le canonier qui a sauvé la corvette (1ère partie) ; Cimourdain fait exécuter Lantenac qui a sauvé les enfants (3ème partie).
Entre eux, règne une opposition radicale qui n'a aucune contrepartie.
Ils sont de la même famille, et ont donc quelques relations personnelles malgré le conflit d'idées, et l'absence de Lantenac durant l'enfance de Gauvain : au mot "signé Gauvain" sur la dune (I, IV, 5) répond le mot sur la porte de la Tourgue p. 393 (III, IV 14).
Mais il s'agit surtout d'un duel : cf. "Dol" (III, II, 2) : la bataille historique fait place à une querelle de famille !
Dialogue Gauvain / Lantenac : mépris du marquis pour qui a trahi sa caste... mais Gauvain, libérant le marquis et le laissant stupéfait, a encore une fois le dernier mot. (III, VII,p.443)
Des relations père / fils passionnées, seule trace d'humanité dans le cœur de Cimourdain, qui a sauvé deux fois la vie du jeune homme : dans son enfance, et lors de la bataille de Dol (III, II, 4). Cimourdain est pour Gauvain une sorte de Pygmalion (III, II, 5 p. 266-68) – mais Gauvain ne transige pas sur ses principes, notamment la clémence.
Opposition d'idées : deux conceptions de la Révolution, l'une impitoyable mais pragmatique, l'autre plus humaine, mais aussi plus utopique. cf. III, VII, 5.
Soucieux d'incarner des idées, ou des idéaux, dans ses héros, Hugo se soucie assez peu de la vraisemblance des comportements : chacun de ses protagonistes agit donc d'une manière quelque peu incohérente.
Parce qu'en romancier (et non en historien), Hugo manifeste ici une prédilection pour les "beaux gestes" au détriment des gestes utiles, il transforme ses héros en individualistes, plaçant leur conscience au-dessus de leur propre cause et de l'intérêt commun. Une leçon bien ambiguë !
Gauvain et Cimourdain n'ont plus que quelques heures à vivre ; or ils discourent sur l'œuvre de la Révolution, de l'avenir non pas personnel, mais historique. Hugo note cette "sérénité terrible" p. 459. Et ce dialogue qui refuse tout pathétique, p. 463 :
– Tu vas vite.
– C'est que je suis peut-être un peu pressé."
Leur destin individuel n'existe pas à leurs yeux.
"– Tu absous le moment présent ?
– Oui, parce que c'est une tempête..."
Au moment le plus tragique, pause méditative et ouverture sur l'avenir. C'est conforme à toute la conception du roman : un commencement douloureux, certes, mais porteur d'avenir. De plus, la Révolution est dans la main de Dieu : cf. p. 464.
CIMOURDAIN | GAUVAIN |
Le définitif droits et devoirs parallèles : équilibre, algèbre, balance, dose, mesure, règle l'homme il s'agit de "réaliser le possible" Donner à manger ; donner à chacun ce qui lui revient. |
dévouement, sacrifice, amour : vocabulaire mystique :
harmonie / lyre, azur, poésie, réaliser l'utopie, regarder l'avenir L'idée est nourriture, autant que le pain. Donner à chacun, tout. |
Chez Cimourdain, présenté pourtant comme un fanatique n'ayant de la réalité qu'une connaissance livresque (cf. II, I, 2), on observe un sens aigu, et restrictif, du possible, du réalisme ; alors que chez Gauvain, on trouve une vue plus large, mais aussi plus utopique. De plus, vision idéaliste des rapports entre les hommes : rêve d'une harmonie résolvant magiquement les conflits sociaux, dans un âge d'or retrouvé.
CIMOURDAIN | GAUVAIN |
Un programme réalisé au 21ème siècle |
Programme encore à réaliser ! Mélange d'utopie, de socialisme pré-fouriériste (élimination des parasitismes...) et de vues fulgurantes, qui sont celles d'un Hugo visionnaire :
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Ce débat reflète les réflexions des Révolutionnaires : vues profondes, vite anéanties par la réaction, dès 1794.