Molière et alii : Psyché (1671)
Le texte de la pièce : http://www.toutmoliere.net/oeuvres/psyche/index.html
En 1671, pour le Carnaval, le Roi décida de rouvrir son théâtre aux Tuileries, et de réutiliser les décors infernaux de l’Ercole Amante de Buti et Cavalli, joué en 1662. Molière proposa le sujet de Psyché, mais la date étant fixée au 17 janvier 1671, il se rendit compte qu’il n’aurait pas le temps de développer seul le projet, qui aurait dû être un véritable livret d’opéra pour la musique de Lully. Il fit donc appel à Quinault et à Corneille.
Molière établit le plan de la pièce, rédigea le Prologue, l’acte I et la 1ère scène de l’acte II et de l’acte III. Quinault composa les airs chantés, et Corneille rima le reste de la pièce, soit environ 1000 vers en 15 jours !
La représentation dura 5 heures et fut un enchantement pour les yeux ; le jeune Baron joua Amour, et Armande Béjart Psyché, qui fut sont plus grand succès de théâtre.
Psyché fut reprise au Palais-Royal, par la troupe de Molière ; il fallut pour cela réaménager le théâtre. Le succès ne se démentit pas : la pièce fut donnée 82 fois.
Un chœur de dieux et de déesses invite Vénus à descendre sur la terre ; celle-ci, du haut de sa machine, exprime son dépit : Psyché est plus honorée qu’elle ! Elle demande à Cupidon de la venger. Le texte à la fois édulcore celui de La Fontaine (Vénus est moins burlesque), et l’amplifie : 112 vers.
Les deux sœurs de Psyché, qui ici ont pour noms Aglaure et Cidippe, exhalent leur rancœur : leur cadette reçoit tous les hommages, et elles-mêmes sont dédaignées. Elles en concluent que leur sœur est d’abord plus facile, et qu’elles ont montré trop d’orgueil.
Deux amants, Agénor et Cléomène, viennent voir Psyché, et n’ont pas un regard pour les deux sœurs.
Entrée de Psyché : elle refuse de choisir entre les deux princes, et leur offre d’épouser ses sœurs. Celles-ci refusent.
La scène est interrompue par Lycas : le Roi demande Psyché.
Lycas explique aux deux sœurs son trouble : un oracle exige que Psyché soit menée sur un mont, et abandonnée à un monstre. L’oracle est très proche de celui de La Fontaine :
La
Fontaine |
Molière |
L'époux
que les Destins gardent à votre fille
|
Que
l’on ne pense nullement A
vouloir de Psyché conclure l’hyménée ; Mais
qu’au sommet d’un mont elle soit promptement En
pompe funèbre emmenée, Et
que de tous abandonnée, Pour
époux elle attende en ces lieux constamment Un
monstre dont on a la vue empoisonnée, Un
serpent qui répand son venin en tous lieux, Et trouble dans sa rage et la terre et les cieux. |
A la fois plus explicite, moins développé et moins poétique…
Les deux sœurs se réjouisse du malheur de leur cadette.
Cortège funèbre de Psyché, chant en italien (probablement de Lully).
Le Roi se révolte contre la volonté des dieux ; Psyché tente de le consoler, et de lui rendre sa constance. Dialogue argumentatif, qui est une amplification de la scène d’Apulée et de La Fontaine. Insistance assez lourde sur le pathétique.
Les deux sœurs veulent rester auprès de Psyché jusqu’à la fin ; celle-ci les en dissuade. Quatre vers d’ironie tragique :
Un oracle jamais n’est sans obscurité
On l’entend d’autant moins que mieux on croit l’entendre
Et peut-être, après tout, n’en devez-vous attendre
Que gloire et que félicité.
Monologue de Psyché : on apprend qu’aimée de tous, elle-même restait insensible.
Arrivée d’Agénor et Cléomène, qui proposent de combattre le serpent. Elle est enlevée sous leurs yeux par deux zéphyrs
L’Amour, sur sa machine, maudit les deux amants.
Changement à vue : le décor devient un palais magnifique, et Vulcain chante.
Amour dialogue avec Zéphyr : il est déguisé ; le texte suggère qu’il a renoncé à son apparence enfantine pour devenir adulte ! (v. 964-966)
Il est temps de sortir de cette longue enfance
Qui fatigue ma patience,
Il est temps désormais que je devienne grand.
On retrouve un peu du burlesque de La Fontaine : Vénus sera fâchée d’avoir un fils adulte… et amoureux de sa rivale !
Monologue de Psyché, qui découvre le palais, mais s’attend encore au pire.
Dialogue d’Amour et Psyché : elle découvre le « monstre », et en tombe instantanément amoureuse. Amour ne dit pas précisément qui il est ; Psyché demande à rassurer son père et ses sœurs : Zéphyr part donc chercher celles-ci. Concentré de l’histoire de Psyché en une seule scène : le théâtre ne permet pas les développements psychologiques, et le personnage y perd considérablement de son épaisseur. Il est sans défaut, (notamment la curiosité), et n’évolue pas.
Chant amoebée des Zéphyrs et d’Amour, qui célèbrent l’amour.
La haine et le dépit des sœurs éclatent, devant tant de bonheur – le magnifique Palais, le pouvoir de Psyché sur Flore et les Zéphyrs, et par-dessus tout son séduisant mari.
Les deux sœurs sèment le doute dans l’esprit de Psyché : son amant ne lui a pas dit qui il était, et le Palais n’est peut-être qu’un enchantement. Là encore, la volte face de Psyché, de la confiance au doute et à la peur, paraît précipitée et artificielle.
Psyché exige d’Amour qu’il lui révèle son identité ; elle le lui fait jurer sur le Styx. Mais l’aveu provoque la fuite de l’Amour et la dissipation du palais.
Curieusement, Molière et Corneille ont renoncé à la scène de la lampe, si fréquemment représentée dans les arts plastiques ; peut-être parce qu’il aurait fallu un Amant invisible auparavant, ce qui n’était pas possible au théâtre. Ici, tout est dialogué : efforts pathétiques d’Amour pour éviter de parler, insistance de Psyché…
Nouveau changement à vue : le Palais a disparu, Psyché se retrouve seule au bord d’un fleuve. Elle veut s’y jeter ; le dieu fleuve refuse, et l’incite à fuir la colère de Vénus.
Affrontement de Vénus et Psyché, la première accablant la seconde de reproches, et Psyché se défendant, non sans courage.
Les épreuves de Psyché sont réduites à une seule : tableau des Enfers, où elle est allée chercher une boîte chez Perséphone.
Plaintes de Psyché, qui croit cependant qu’Amour l’aime encore.
Elle retrouve aux Enfers Agénor et Cléomène, morts pour elle, et qui ont un séjour assez doux ; ils lui apprennent que ses sœurs sont mortes aussi, et subissent d’éternels supplices (Psyché ne s’est donc pas vengée elle-même).
Pour réparer sa beauté, Psyché ouvre la boîte confiée par Proserpine, et s’évanouit aussitôt.
Monologue d’Amour, qui menace sa mère.
Dialogue agonistique entre Amour et Vénus : Vénus veut bien redonner vie à Psyché, si elle choisit à son fils une autre épouse ; Amour en appelle à Jupiter.
Jupiter impose la paix, et fait de Psyché une immortelle.
Les dieux se réunissent, célébrant l’amour : chants et danses, dans un « finale » spectaculaire.
Il s’agit donc d’une « comédie ballet », une pièce à machines recherchant le spectaculaire : changements à vue, multiplicité des ballets et des personnages présents, au détriment de la finesse psychologique ; l’intrigue est simplifiée, resserrée (une seule épreuve montrée, la vengeance contre les sœurs escamotée…)
Frontispice de l’édition de Molière :