[1,1] I. (1) Cum multae res in
philosophia nequaquam satis adhuc explicatae sint, tum
perdifficilis, Brute, quod tu minime ignoras, et perobscura
quaestio est de natura deorum, quae et ad cognitionem animi
pulcherrima est et ad moderandam religionem necessaria. De qua
(cum) tam uariae sint doctissimorum hominum tamque discrepantes
sententiae, magno argumento esse debeat causam, id est principium
philosophiae, esse inscientiam, prudenterque Academici a rebus
incertis adsensionem cohibuisse. Quid est enim temeritate turpius
aut quid tam temerarium tamque indignum sapientis grauitate atque
constantia quam aut falsum sentire aut, quod non satis explorate
perceptum sit et cognitum, sine ulla dubitatione defendere? (2)
Velut in hac quaestione plerique, quod maxime ueri simile est et
quo omnes sese duce natura uenimus, deos esse dixerunt, dubitare
se Protagoras, nullos esse omnino Diagoras Melius et Theodorus
Cyrenaicus putauerunt. Qui uero deos esse dixerunt, tanta sunt in
uarietate et dissensione, ut eorum infinitum sit enumerare
sententias. Nam et de figuris deorum et de locis atque sedibus et
de actione uitae multa dicuntur, deque is summa philosophorum
dissensione certatur ; quod uero maxime rem causamque continet,
utrum nihil agant, nihil moliantur, omni curatione et
administratione rerum uacent, an contra ab iis et a principio
omnia facta et constituta sint et ad infinitum tempus regantur
atque moueantur, in primis (quae) magna dissensio est, eaque nisi
diiudicatur, in summo errore necesse est homines atque in
maximarum rerum ignoratione uersari. Sunt enim philosophi et
fuerunt, qui omnino nullam habere censerent rerum humanarum
procurationem deos. Quorum si uera sententia est, quae potest esse
pietas, quae sanctitas, quae religio? Haec enim omnia pure atque
caste tribuenda deorum numini ita sunt, si animaduertuntur ab is
et si est aliquid a deis inmortalibus hominum generi tributum; sin
autem dei neque possunt nos iuuare nec uolunt nec omnino curant
nec, quid agamus, animaduertunt nec est, quod ab is ad hominum
uitam permanare possit, quid est, quod ullos deis inmortalibus
cultus, honores, preces adhibeamus? In specie autem fictae
simulationis sicut reliquae uirtutes item pietas inesse non
potest; cum qua simul sanctitatem et religionem tolli necesse est,
quibus sublatis perturbatio uitae sequitur et magna confusio; (4)
atque haut scio, an pietate aduersus deos sublata fides etiam et
societas generis humani et una excellentissuma uirtus iustitia
tollatur. Sunt autem alii philosophi, et hi quidem magni
atque nobiles, qui deorum mente atque ratione omnem mundum
administrari et regi censeant, neque uero id solum, sed etiam ab
isdem hominum uitae consuli et prouideri; nam et fruges et
reliqua, quae terra pariat, et tempestates ac temporum uarietates
caelique mutationes, quibus omnia, quae terra gignat, maturata
pubescant, a dis inmortalibus tribui generi humano putant,
multaque, quae dicentur, in his libris colligunt, quae talia sunt,
ut ea ipsa dei inmortales ad usum hominum fabricati paene
uideantur. Contra quos Carneades ita multa disseruit, ut excitaret
homines non socordes ad ueri inuestigandi cupiditatem. (5) Res
enim nulla est, de qua tantopere non solum indocti, sed etiam
docti dissentiant; quorum opiniones cum tam uariae sint tamque
inter se dissidentes, alterum fieri profecto potest, ut earum
nulla, alterum certe non potest, ut plus una uera sit. |
Il
subsiste dans la philosophie, tu l'ignores, Brutus, moins que
personne, beaucoup de problèmes non encore résolus, mais s'il est
une recherche particulièrement difficile, c'est celle qui a trait
à la nature des dieux, tout enveloppée d'obscurité. Et cependant
nulle ne paraît plus nécessaire, tant pour satisfaire notre désir
de connaître que pour régler le culte. La diversité, la
contrariété des opinions professées à ce sujet par les plus doctes
montrent avec une force impossible à méconnaître que la cause,
c'est-à-dire l'origine première de la philosophie est le défaut de
science certaine et que les Académiciens ont sagement agi en
suspendant leur jugement en cas d'incertitude. Quoi de plus
honteux qu'une affirmation inconsidérée? et quoi de plus
inconsidéré, de plus indigne d'un sage à l'esprit ferme, résolu à
rester d'accord avec lui-même, que d'adopter une idée fausse ou,
dans un sujet mal exploré, mal connu, de soutenir une opinion sans
exprimer aucune hésitation? (2) C'est ainsi qu'en ce qui concerne
les dieux, tandis que la plupart des philosophes affirment leur
existence, thèse raisonnable et à laquelle la nature nous incline,
Protagoras la tient pour douteuse, Diagoras de Mélos et Théodore
de Cyrène la nient sans réserve. Parmi ceux qui se prononcent en
sa faveur, il y a tant d'avis différents et opposés que ce serait
une lourde tâche de les énumérer. On trouve de longs discours sur
l'apparente extérieure des dieux, sur le lieu de leur résidence,
sur la façon dont ils conduisent leur vie. Sur tous ces points,
les philosophes discutent et sont aussi loin que possible de
s'entendre. Mais la grande affaire dans ce débat est de savoir si
les dieux sont complètement inactifs, ne se mêlent de rien, n'ont
aucun souci du monde et ne le gouvernent pas ou si, au contraire,
ils sont les architectes et les ordonnateurs de toutes choses, si
c'est leur volonté qui les meut et les dirige. Nulle question
n'est plus controversée et cependant, à moins qu'on n'arrive à une
décision sur ce point, les hommes seront nécessairement dans la
pire incertitude et dans l'ignorance des plus hautes vérités.
(3) Il y a eu, il
y a encore des philosophes soutenant que les dieux ne se mettent
nullement en peine des affaires humaines. Si cette opinion est la
vraie, que deviennent la piété, la crainte des dieux, la religion?
Nous avons à nous acquitter envers les dieux de beaucoup d'offices
et la pureté, la franchise du cœur y sont requises, s'il est vrai
que les immortels y ont égard et si, de leur côté, ils font
quelque chose pour le genre humain. Si, au contraire, ils ne
peuvent ni ne veulent nous être en aide, s'ils n'ont de nous aucun
souci et si nos façons d'agir leur sont indifférentes, s'il n'est
rien dans notre vie qui atteste leur influence, pourquoi
seraient-ils l'objet d'un culte de notre part, à quoi servirait-il
de les honorer, de leur adresser des prières? Tout de même que les
autres vertus, la piété ne peut consister en un vain simulacre et,
la piété disparaissant, la crainte des dieux, la religion s'en
vont nécessairement avec elle, notre vie est bouleversée, le
désordre règne. (4) Je ne sais en vérité si, la piété venant à
manquer, la bonne foi pourrait subsister, si même la rupture du
lien social ne s'ensuivrait pas, si la justice, c'est-à-dire la
plus haute des vertus, ne serait pas abolie, elle aussi. D'autres
philosophes, en revanche, grands et de plus haute qualité, croient
que l'intelligence et le calcul des dieux gouvernent le monde et
règlent la destinée, que tout particulièrement la vie humaine est
l'objet de leur soin, de leur action providentielle. Selon eux, le
grain nourricier et tous les produits du sol, les variations de
température, l'ordre régulier des saisons, le déplacement des
corps célestes, qui font que les fruits de la terre croissent et
viennent à maturité, manifestent l'intention qu'ont eue les dieux
immortels de rendre ce monde habitable pour le genre humain. Ces
philosophes rassemblent une foule d'exemples que je reproduirai
dans le présent ouvrage et tels qu'on peut croire le monde fait
tout exprès pour l'usage de l'homme. Carnéade, cependant, a dirigé
contre cette doctrine de nombreuses objections et éveillé dans
l'âme de ceux d'entre nous qui ont le courage de penser le besoin
de rechercher la vérité. style='mso-spacerun:yes'> (5) Nulle
matière n'est plus sujette à discussion aussi bien pour les
ignorants que pour les savants et, entre tant d'avis divers et
opposés, il se peut qu'aucun ne soit vrai, il est impossible que
plus d'un le soit. |