PROPERCE (47-15 av. J-C), élégies

Livre I

Livre II

Livre III

Livre IV

·        Élégie 4

·        Élégie 7

 

Originaire d’Assise, en Ombrie, Properce est l’auteur de quatre livres d’Élégies. Les trois premiers contiennent des élégies amoureuses ; le 4ème des élégies politiques, œuvres de commande écrites à la demande d’Auguste. La 4ème est consacrée à Tarpéia, la 9ème à Hercule, la 10ème à Jupiter Férétrien (= qui porte les dépouilles des vaincus).

Disciple de l’alexandrinisme grec, et notamment de Callimaque, Properce subit aussi l’influence de Virgile et d’Ovide. Il inspirera à son tour les Antiquités de Rome, de Du Bellay.

Élégie IV, 4

Tarpeia, vers 47-92

Nous sommes au tout début de l’histoire de Rome   : Tatius, roi des Sabins, encercle Rome après l’enlèvement des Sabines par Romulus. Partie chercher de l’eau à une source, la Vestale Tarpéia rencontre Tatius et tombe amoureuse de lui. Revenue à Rome,  elle médite, assise sur la roche qui bientôt portera son nom. Elle se compare à Scylla, une jeune Grecque qui a trahi pour Minos, roi de Crète, ou à Ariane, qui a trahi pour Thésée son père et son frère.

 

 

 

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“Cras, ut rumor ait, tota potabitur urbe   :

     tu cape spinosi rorida terga iugi.

lubrica tota uia est et perfida  : quippe tacentis

     fallaci celat limite semper aquas.

O utinam magicae nossem cantamina Musae !

     Haec quoque formoso lingua tulisset opem.

Te toga picta decet, non quem sine matris honore

     nutrit inhumanae dura papilla lupae.

Hic, hospes, patria metuar regina sub aula?

     dos tibi non humilis prodita Roma uenit.

Si minus, at raptae ne sint impune Sabinae   :

     me rape et alterna lege repende uices!

Commissas acies ego possum soluere   : nuptae

     uos medium palla foedus inite mea.

Adde Hymenaee modos, tubicen fera murmura conde  :

     credite, uestra meus molliet arma torus.

Et iam quarta canit uenturam bucina lucem,

     ipsaque in Oceanum sidera lapsa cadunt.

Experiar somnum, de te mihi somnia quaeram  :

     fac uenias oculis umbra benigna meis."

Dixit, et incerto permisit bracchia somno,

     nescia se furiis accubuisse nouis.

Nam Vesta, Iliacae felix tutela fauillae,

     culpam alit et plures condit in ossa faces.

illa ruit, qualis celerem prope Thermodonta

     Strymonis abscisso fertur aperta sinu.

Urbi festus erat (dixere Parilia patres),

     hic primus coepit moenibus esse dies,

annua pastorum conuiuia, lusus in urbe,

     cum pagana madent fercula diuitiis,

cumque super raros faeni flammantis aceruos

     traicit immundos ebria turba pedes.

Romulus excubias decreuit in otia solui

     atque intermissa castra silere tuba.

Hoc Tarpeia suum tempus rata conuenit hostem  :

     pacta ligat, pactis ipsa futura comes.

Mons erat ascensu dubius festoque remissus

     nec mora, uocalis occupat ense canis.

Omnia praebebant somnos  : sed Iuppiter unus

     decreuit poenis inuigilare suis.

Prodiderat portaeque fidem patriamque iacentem,

     nubendique petit, quem uelit, ipsa diem.

At Tatius (neque enim sceleri dedit hostis honorem)

    "nube" ait "et regni scande cubile mei!"

dixit, et ingestis comitum super obruit armis.

     Haec, uirgo, officiis dos erat apta tuis.

Demain, comme le dit la rumeur, on boira dans toute la ville   : toi, prends les flancs couverts de rosée de la colline semée d’épines   : bien sûr elle cache sur sa limite trompeuse des eaux qui se taisent toujours. Ah si seulement je connaissais les charmes de la Muse magique ! moi aussi, ma langue apporterait son aide au beau jeune homme. C’est à toi que convient la toge brodée, non à celui que nourrit, sans une mère honorable, la dure mamelle d’une  louve inhumaine. Ici, mon hôte, je serais crainte comme reine dans le palais de mes pères ? Une dot non négligeable vient pour toi de Rome trahie. Du moins, que les Sabines n’aient pas été impunément enlevées   : enlève-moi et par une loi réciproque, paie-le de retour ! moi je peux dissoudre les armées une fois aux prises   : vous, jeunes épousées , posez les jalons d’un pacte médiateur, grâce à mon voile de mariée. Ajoute les chants d’Hyménée, trompette, cache tes sons rauques et sauvages  : croyez-moi  : mon lit nuptial apaisera vos armes. Et déjà, le buccin sonne la quatrième veille et le jour qui vient, et les étoiles elles-mêmes tombent et glissent dans l’Océan. Je vais essayer de dormir, je vais chercher des songes qui me parlent de toi  : viens, viens, devant mes yeux, ombre bienveillante.” Elle dit, et abandonne ses membres à un sommeil incertain, inconsciente de s’être couchée près de nouvelles fureurs. En effet Vesta, bienveillante protectrice de la cendre troyenne, nourrit sa faute et plonge dans ses os de nombreuses torches. Elle se précipite, comme l’Amazone est emportée sur les bords du Thermodon impétueux, découverte, le vêtement déchiré. Dans Rome c’était jour de fête (nos ancêtres l’appelèrent Parilies), ce jour commença à être le premier anniversaire de nos remparts, banquet annuel des bergers, jeux dans la ville, lorsque les plats des paysans regorgent de mets, et lorsque par-dessus des tas de foin enflammés çà et là une foule ivre saute de ses pieds sales. Romulus décida que les gardes auraient une permission, et que, la trompette s’étant tue, le camps serait silencieux. Tarpeia, ayant cru son heure venue, rejoint l’ennemi  : elle le lie par un pacte, elle-même devant l’accompagner selon le pacte. Il y avait une colline difficile à escalader mais abandonnée par la fête, et sans retard, elle devance de son épée les aboiements des chiens. Tout offrait les apparences du sommeil  : mais Jupiter seul décida de rester éveillé pour son chatiement. Elle avait livré la porte protectrice et sa patrie endormie, et elle-même demande quel jour il veut pour le mariage. Mais Tatius (et même un ennemi n’a pas rendu hommage au crime)  : “épouse-moi, répliqua-t-il, et monte sur mon lit et sur mon trône !”, et il l’écrasa sous les armes que ses compagnons jetèrent sur elle. Telle était, jeune fille, le prix approprié à tes services.

·        Iugum, I   : sommet d’une colline, colline. Ici il s’agit du Capitole.

·        Tergum, I   : flanc, arrière de la colline

·        V. 50   : “tout le chemin est glissant (lubrica   : sens abstrait et concret à la fois !) et périlleux”   : elle veut d’abord aller chez les Sabins.

·        Nossem est ici un potentiel plus qu’un irréel

·        Formoso   : “au beau jeune homme” ; la Muse magique est celle d’Apollon ;  elle veut prophétiser son succès.

·        Toga picta   : la toge brodée, insigne du triomphe

·        “sans une mère honorable”   : allusion à Rhéa Silvia, une Vestale, comme Tarpéia elle-même !

·        Le vers 51 est peu sûr   :

o   Hic, hospes, patria metuar regina sub aula? Ici, mon hôte, serai-je crainte en tant que reine dans le palais de mes pères ?

o   Sic, hospes, pariamne tua regina sub aula ?  Ainsi, mon hôte, mettrai-je un enfant au monde, en tant que reine, dans ton palais ?

o   Dans tous les cas de figure, Tarpéia se voit déjà reine aux côtés de Tatius, soit dans le palais de celui-ci, soit même à Rome…

·        Si minus… at   : sinon, du moins

·        Repende uices   : “inverse les rôles”, alterna lege   : en imposant à ton tour la loi.

·        Commissas acies   : les armées une fois aux prises

·        Nuptae   : jeunes épousées (les Sabines !)

·        Inite medium foedus   : initiez, posez les jalons d’un pacte (foedus, foederis) médiateur (medium)

·        Palla mea   : au moyen de / sur mon voile de mariée (la palla est un manteau de femme, ici un voile de mariée.)

·        Modos  : modes musicaux, chants

·        Tubicen  : le trompette, le joueur de tuba. “conde fera murmura  : cache tes sons rauques”. Tarpéia s’adresse au trompette.

·        Meus torus  : mon lit nuptial. Tarpéia est ici en plein délire ! Mais en même temps, sa volonté de paix n’est pas si différente de celle des Sabines ; sa trahison partait peut-être de bons sentiments…

·        V. 63  : retour au réel. Mot à mot  : la 4ème trompette (quarta bucina) chante le jour qui vient. La 4ème veille correspondait à peu près à 3 heures du matin.

·        Fac uenias  : “viens” (insistant) ; meis oculis dépend de “fac uenias” et non de “benigna umbra”  : datif de mouvement

·        Iliacae felix tutela fauillae  : bienveillante protectrice de la cendre troyenne ; allusion aux origines troyennes des Romains, descendants d’Énée.

·        Strymonis, idis, f  : la Strymonienne, l’Amazone (le Strymon était un fleuve de Thrace) ; le Thermodon était un fleuve de Cappadoce ; “aperta” = découverte ; “abscisso sinu”, ablatif absolu. On traduit par “le vêtement déchiré”, car les Amazones avaient le sein droit brûlé ; s’il y avait eu une telle allusion, Properce aurait écrit “urere”.

·        Le vers 73 évoque Tibulle ; Parilia = les Parilies, fête des Bergers (21 avril) ; pagana fercula  : les plats des paysans

·        Excubias in otia solui  : que les gardes soient libérés pour les loisirs è que les gardes aient une permission

·        pactis ipsa futura comes  : seconde clause du pacte  : elle accompagnera (comes <erit>) les Sabins.

·        Festoque remissus  : et (= mais) abandonnée à cause de la fête

·        Omnia praebebant somnos  : tout offrait < les apparences du > sommeil

·        Portae fides  : la protection de la porte = la porte protectrice (cf. matris honos, v. 53) ; c’est la figure de l’abstraction. Il s’agit de la porte par laquelle elle a fait entrer les Sabins. Selon une légende, elle était gardée par Tarpéius, son père…

·        Prodiderat… on est projeté dans le futur, une fois la trahison accomplie. “nubendi petit, quem uelit, ipsa diem  : quem diem nubendi uelit est une interrogation indirecte, et a pour sujet Tatius.

·        Et regni scande cubile mei  : mot à mot “et monte sur la couche de mon trône” = monte sur ma couche et sur mon trône.

Élégie IV, 7  : l’ombre de Cynthia.

La mort de Cynthia brise le cercle magique des trois premiers livres : Properce raconte alors l’histoire de Rome.

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Sunt aliquid Manes : letum non omnia finit,

     luridaque euictos effugit umbra rogos.

Cynthia namque meo uisa est incumbere fulcro,

     murmur ad extremae nuper humata uiae,

cum mihi somnus ab exsequiis penderet amoris,

     et quererer lecti frigida regna mei.

eosdem habuit secum quibus est elata capillos,

     eosdem oculos; lateri uestis adusta fuit,

et solitum digito beryllon adederat ignis,

     summaque Lethaeus triuerat ora liquor.

Spirantisque animos et uocem misit : at illi

     pollicibus fragiles increpuere manus :

"perfide nec cuiquam melior sperande puellae,

in te iam uires somnus habere potest? […]

     iuro ego Fatorum nulli reuolubile carmen,

tergeminusque canis sic mihi molle sonet,

me seruasse fidem. si fallo, uipera nostris

     sibilet in tumulis et super ossa cubet.

Nam gemina est sedes turpem sortita per amnem,

     turbaque diuersa remigat omnis aqua.

unda Clytaemestrae stuprum uehit altera, Cressae

     portat mentitae lignea monstra bouis.

Ecce coronato pars altera rapta phaselo,

     mulcet ubi Elysias aura beata rosas,

qua numerosa fides, quaque aera rotunda Cybebes

     mitratisque sonant Lydia plectra choris.

Andromedeque et Hypermestre sine fraude maritae

     narrant historiae tempora nota suae :

haec sua maternis queritur liuere catenis

     bracchia nec meritas frigida saxa manus;

narrat Hypermestre magnum ausas esse sorores,

     in scelus hoc animum non ualuisse suum.

Sic mortis lacrimis uitae sancimus amores :

     celo ego perfidiae crimina multa tuae.

Sed tibi nunc mandata damus, si forte moueris,

     si te non totum Chloridos herba tenet […]

et quoscumque meo fecisti nomine uersus,

     ure mihi : laudes desine habere meas.

pelle hederam tumulo, mihi quae praegnante corymbo

     mollia contortis alligat ossa comis.

ramosis Anio qua pomifer incubat aruis,

     et numquam Herculeo numine pallet ebur,

hic carmen media dignum me scribe columna,

     sed breue, quod currens uector ab urbe legat :

“HIC TIBVRTINA IACET AVREA CYNTHIA TERRA :

     ACCESSIT RIPAE LAVS, ANIENE, TVAE." 

Les Mânes sont quelque chose. La mort ne finit pas tout, et l’ombre pâle s’échappe triomphante du bûcher. Cynthia m’est apparue se penchant sur mon lit, ensevelie récemment au bord des murmures de la route, alors que le sommeil planait sur moi après les obsèques de mon amour, et que je me plaignais de régner sur un lit froid. Elle avait les mêmes cheveux que quand on l’emporta, les mêmes yeux, son vêtement était brûlé au côté et le feu avait rongé l’aigue-marine qu’elle portait d’habitude au doigt et l’eau du Léthé avait pâli ses lèvres. Elle fit entendre les sentiments et la voix d’une vivante : mais elle fit craquer les pouces de ses mains fragiles : “Perfide, toi dont aucune femme n’a rien de mieux à attendre, sur toi le sommeil déjà peut étendre sa puissance ? […] Je jure par les décisions irrévocables du destin que je t’ai été fidèle. Si je mens, que la vipère siffle sur mon tombeau et se couche sur mes os. Car il est au long du fleuve terrible deux séjours impartis aux ombres par le sort, et la foule toute entière y rame dans deux directions opposées ; une barque porte la honte de Clytemnestre, une autre porte le monstre aux cornes de bois de la trompeuse génisse crétoise. Voici une autre partie, enlevée dans une barque couronnée de fleurs, là où la brise heureuse caresse les roses élyséennes, là où la lyre cadencée, là où les cymbales arrondies de Cybèle et les plectres lydiens résonnent pour des chœurs mitrés. Andromède et Hypermestre, épouses sans ruse, racontent l’histoire de leurs amours fameuses : l’une rappelle que ses bras furent meurtris par les chaînes maternelles et que ses mains n’avaient pas mérité le roc glacé ; Hypermestre raconte que ses sœurs ont osé un grand forfait et que son cœur n’a pas eu la force de partager leur crime. Ainsi nous soignons les amours de la vie par les larmes de la mort ; moi je cache les nombreux crimes de ta perfidie. Mais aujourd’hui je te mande mes volontés, si tu peux être ému, si l’herbe de Chloris ne te tient pas tout entier […] tous les vers que tu as faits pour moi, brûle-les : ne garde pas ces louanges qui m’appartiennent. Arrache de mon tombeau le lierre, qui par l’assaut de ses grappes, lie mes os dans la souplesse de ses courbes comme dans une chevelure. Dans les vergers ombragés où l’Anio fécond fait son lit, et où grâce à Hercule l’ivoire ne jaunit pas, écris ici une épitaphe digne de moi mais brève, au milieu d’une colonne, pour que le cavalie qui sort au galop de la Ville puisse la lire : ICI GÎT DANS LA TERRE DE TIBUR CYNTHIA AUX CHEVEUX D’OR : SA GLOIRE S’AJOUTE À CELLE DE TES RIVES, ANIO.