Sophocle, Électre

Prologue

(ὈΡΕΣΤΗΣ)
ἆρ᾽ ἐστὶν ἡ δύστηνος Ἠλέκτρα· θέλεις
μείνωμεν αὐτοῦ κἀπακούσωμεν γόων ;

(ΠΑΙΔΑΓΩΓΟΣ)
ἥκιστα· μηδὲν πρόσθεν ἢ τὰ Λοξίου
πειρώμεθ᾽ ἔρδειν κἀπὸ τῶνδ᾽ ἀρχηγετεῖν,
πατρὸς χέοντες λουτρά· ταῦτα γὰρ φέρει
νίκην τ᾽ ἐφ᾽ ἡμῖν καὶ κράτος τῶν δρωμένων.

(ἨΛΕΚΤΡΑ)
ὦ φάος ἁγνὸν
καὶ γῆς ἰσόμοιρ᾽ ἀήρ, ὥς μοι
πολλὰς μὲν θρήνων ᾠδάς,
πολλὰς δ᾽ ἀντήρεις ᾔσθου
στέρνων πληγὰς αἱμασσομένων,
ὁπόταν δνοφερὰ νὺξ ὑπολειφθῇ·
τὰ δὲ παννυχίδων ἤδη στυγεραὶ
ξυνίσασ᾽ εὐναὶ μογερῶν οἴκων,
ὅσα τὸν δύστηνον ἐμὸν θρηνῶ
πατέρ᾽, ὃν κατὰ μὲν βάρβαρον αἶαν
φοίνιος Ἄρης οὐκ ἐξένισεν,
μήτηρ δ᾽ ἡμὴ χὠ κοινολεχὴς
Αἴγισθος ὅπως δρῦν ὑλοτόμοι
σχίζουσι κάρα φονίῳ πελέκει,
κοὐδεὶς τούτων οἶκτος ἀπ᾽ ἄλλης
ἢ ᾽μοῦ φέρεται, σοῦ, πάτερ, οὕτως
αἰκῶς οἰκτρῶς τε θανόντος.
ἀλλ᾽ οὐ μὲν δὴ
λήξω θρήνων στυγερῶν τε γόων,
ἔστ᾽ ἂν παμφεγγεῖς ἄστρων
ῥιπάς, λεύσσω δὲ τόδ᾽ ἦμαρ,
μὴ οὐ τεκνολέτειρ᾽ ὥς τις ἀηδὼν
ἐπὶ κωκυτῷ τῶνδε πατρῴων
πρὸ θυρῶν ἠχὼ πᾶσι προφωνεῖν.
ὦ δῶμ᾽ Ἀΐδου καὶ Περσεφόνης,
ὦ χθόνι᾽ Ἑρμῆ καὶ πότνι᾽ Ἀρὰ
σεμναί τε θεῶν παῖδες Ἐρινύες,
αἳ τοὺς ἀδίκως θνῄσκοντας ὁρᾶθ᾽,
αἳ τοὺς εὐνὰς ὑποκλεπτομένους,
ἔλθετ᾽, ἀρήξατε, τίσασθε πατρὸς
φόνον ἡμετέρου,
καί μοι τὸν ἐμὸν πέμψατ᾽ ἀδελφόν·
μούνη γὰρ ἄγειν οὐκέτι σωκῶ
λύπης ἀντίρροπον ἄχθος.
Oreste :
Est-ce la malheureuse Electre ? Veux-tu que nous restions ici et que nous écoutions ses plaintes ?

Le Pédagogue
Pas du tout. Ne faisons rien avant d’avoir accompli les ordres de Loxias, et commençons par là, en versant des libations à ton père ; c’est cela en effet qui nous apporte la victoire et la force de nos actions.

Électre :
Ô lumière sacrée, et air couvrant également la terre, comme tu as entendu de moi bien des chants de deuil, bien des coups frappés sur ma poitrine ensanglantée, chaque fois que la nuit obscure s’achève ; pendant les fêtes de nuit, les couches odieuses de ma maison haïe savent combien je pleure mon malheureux père, que le sanguinaire Arès n’a pas accueilli sur une terre barbare, mais ma mère et son amant, Égisthe, comme des bûcherons le chêne, lui ont fendu le crâne d’une hache meurtrière ; et aucune plainte de ces crimes n’est poussée par une autre que moi, alors que tu es mort, père, d’une manière si honteuse et si déplorable.


Mais je ne ferai pas cesser mes misérables plaintes ni mes gémissements, tant que je verrai les rayons éclatants des astres et le jour que voici, et comme un rossignol qui a perdu ses petits, afin que l’écho ne cessei pas de faire résonner ma plainte pour tous, devant les portes du palais paternel. Ô demeure d’Hadès et de Perséphone, ô Hermès chthonien et puissante Malédiction, et vous Érinyes, vénérables filles des dieux, vous qui voyez ceux qui meurent injustement, vous qui voyez ceux dont on usurpe la couche, allez, aidez-moi, vengez le meurtre de mon père, et envoyez-moi mon frère. Seule en effet, je n’ai plus la force de rien faire, accablée par le poids du chagrin.

Commentaire

Nous sommes ici dans le prologue, c'est-à-dire la partie précédant l’entrée du chœur. Cela correspond, dans notre théâtre, à l’exposition.

Il s’agit d’un mélodrame, c’est-à-dire d’une partie chantée, une déploration incantatoire. Le mètre employé est le dimètre iambique, parfois réduit à un monomètre (v. 86, 103), par opposition au trimètre du dialogue tragique.

Le passage a d’abord une fonction poétique : c’est un « lamento » ; mais il a aussi une fonction informative, liée à la double énonciation : il s’agit d’annoncer à Oreste que cette femme est bien sa sœur ; il s’agit surtout d’apprendre (ou de rappeler) au spectateur le meurtre d’Agamemnon et d’annoncer l’action à venir, la vengeance.

Le texte commence par une invocation aux éléments supérieurs, spirituels : la lumière, l’air. Puis Electre exprime sa douleur : valeur symbolique de la nuit, vocabulaire du deuil et de la souffrance. Elle évoque ensuite de manière spectaculaire le meurtre de son père : une scène réaliste, extrêmement violente (comparaison avec les bûcherons), qui oppose deux types de morts : la mort glorieuse au combat, désignée par un euphémisme (φοίνιος Ἄρης οὐκ ἐξένισεν), et l’assassinat trivial. La hache a ici une valeur symbolique : instrument des bûcherons, elle est aussi l’outil du sacrifice.