Ce cours est un hommage à mon défunt maître et ami, Georges RODIER, professeur d’histoire de la khâgne de Poitiers (lycée Camille Guérin).
L'orphisme est un mouvement sectaire, fait d’une communauté religieuse fermée. Il apparaît au VIème siècle av. J-C et reste très vivace jusqu’à l’essor du christianisme, avec lequel, quelque temps, il vit en parallèle et même en rapport ; le passage se fait très facilement.
Voir ici un très beau site sur Orphée.
Tous les textes témoignent de traditions diverses touchant un personnage du nom d’Orphée. Fils de la muse Calliopé (poésie), il a pour père tantôt le roi de Thrace Œagre, tantôt Apollon, conducteur des Muses. Orphée pour tous est le plus grand poète, chanteur et musicien de tout le monde méditerranéen. Il a reçu d’Apollon la lyre à 7 cordes et il en rajouta deux, pour correspondre au nombre des 9 Muses. Il pouvait par sa musique charmer les animaux et ramener les morts des Enfers. Il voyagea en Égypte, où il fut initié au culte d’Osiris, puis s’installa en Thrace, où il épousa Eurydice. Mais celle-ci mourut, mordue par un serpent. Orphée obtint de Zeus de descendre aux Enfers et de la ramener à la vie ; mais il avait interdiction de se retourner tant qu’il n’aurait pas quitté les Enfers. Parvenu à la porte, il s’est retourné, et Eurydice s’est évanouie à ses yeux pour toujours. Il l’avait charmée, mais ne l’avait pas aimée assez.
Il veut alors expier, et mène une vie d’abstinence volontaire : il connait une mort terrible, déchiré par les jeunes femmes thraces (ou les Ménades, sectatrices de Dionysos) dont il dédaignait l’amour. Selon une autre légende, rapportée par Eschyle dans sa tragédie perdue, les Bassarides, il se rendait chaque matin sur le sommet du mont Pangaios en Laconie pour adorer Apollon, dieu-soleil ; pour le punir, Dionysos l’aurait fait dépecer par ses Ménades. Sa tête, jetée dans l’Hébron, alla jusqu’à la mer et s’échoua sur la plage de Lesbos ; recueillie et transportée dans un lieu protégé, elle se mit à proférer des oracles.
Il laissait aux hommes, outre sa musique, sa poésie, toutes les formules d’incantation et des rites d’initiation inspirés des mystères d’Osiris. Il est le patron de tous les initiés. On trouve donc, dans le personnage d’Orphée, la triple intrication d’Apollon, Dionysos et Osiris – les deux derniers ayant la particularité d’être des dieux morts par dépeçage, et ressuscités.
Orphée est très lié aux cultes à mystères ; on comprend donc qu'il soit relativement peu présent dans la littérature grecque, surtout en ce qui concerne l'épisode de la descente aux enfers – qui évoque les épreuves des initiés.
Outre des allusions probables dans Les Bacchantes, pièce perdue d'Eschyle, ou dans Iphigénie à Aulis d'Euripide, on trouve surtout :
Curieusement, c'est dans la littérature latine que ce mythe grec trouve sa plus belle expression.
Deux auteurs essentiels de l'époque augustéenne ont raconté son histoire :
Beaucoup plus tard, chez Boèce (470-524 ap. J-C), dans sa Consolatio Philosophiae (III, 12) on retrouve un poème consacré à Orphée.
… ou textes sacrés. Pour exposer leur système, les Orphiques composèrent ces livres qui furent pour les disciples et les initiés une véritable bible, dont l’aspect dogmatique était évident : ils allaient contre la religion officielle et étaient sources de toute vérité ; c’étaient des textes définissant des règles de conduite. Ces préceptes s’étaient cristallisés autour d’un centre de poésie religieuse : on y trouve les rares exemples de poésie hiératique grecque. Les uns sont attribués à Orphée (les Oracles, les Initiations, les Intronisations de la Mère des Dieux, les Bacchiques, la Descente aux Enfers, les Corybantiques…) ; on a retrouvé des fragments d’une Théogonie orphique : rouleau de papyrus de 400 av. J-C, découvert en 1962 à Thessalonique.
D’autres textes auraient été inspirés par Orphée : Empédocle, Onomacrite… et surtout les Feuilles d’or.
Elles ont été trouvé en Grande Grèce, à Pétilia et Thourioi (Sicile), ainsi qu’en Crète à Éleutherma. Elles se trouvaient dans des nécropoles, dans des tombes individuelles, enterrées avec le défunt initié : elles contiennent des formules qui permettent à celui-ci d’accéder à l’au-delà.
Platon, dans sa République, méprise ces prêtres qui s’appuient sur une foule de livres pour promettre aux populations absolution et éternité. Puis il revient sur ces jugements : c’est pour justifier leur action qu’ils inscrivent des paroles. Il admire ensuite leur mode de vie très strict, et se montre favorable à cette vie d’ascète. On trouve d’autres mentions dans Hérodote, Eschyle, Pindare, Aristote.
Ces textes nous apprennent l’existence d’Orphée, et de prêtres qui appliquaient les « règles orphiques et enseignaient au nom d’Orphée » : les Orphéotélestes. Ils vivent en marge, séparés du corps social ; ce sont des purificateurs, spécialistes de la « vraie vie » et de l’initiation.
Elles s’opposent à celles d’Hésiode qui croyait à la cité. A partir du Chaos, les différentes puissances du cosmos s’étaient définies les unes par rapport aux autres. Pour les Orphiques, l’origine de tout est déjà symbole du vivant achevé et parfait : l’œuf représente la plénitude de l’être. La partie supérieure de l’œuf est faite de vent : le ciel. La partie inférieure est la terre. Ils ont un penchant irrésistible à se rejoindre en une hiérogamie. De l’œuf naît le premier dieu : Éros, puissance qui concilie les opposés et les contraires. C’est lui qui pousse le Ciel et la Terre à se rapprocher. S’oppose à lui Neikos, la Querelle. On reconnaît là quelques thèses d’Empédocle…. Zeus, uni à sa fille Perséphone eut un fils : Zagreus. Mais il s’agit bien d’une théogonie, religieuse, et non d’une cosmogonie, qui serait un embryon de science, comme par exemple chez Empédocle, et plus tard chez Pythagore.
Il y a une nature divine et une nature humaine. Au départ, pas de différence entre les dieux et les hommes ; ils font leur apparition commune dans un monde originellement parfait. Ultérieurement, les hommes sont déchus, (à la suite d’une révolution ?) mais portent toujours en eux une parcelle divine. Cette chute provient du meurtre du jeune Dionysos, divin,par les Titans, fils de la Terre (et par nature terrestres) : né, selon les versions, de Zeus et de Perséphone, ou de Zeus et de la mortelle Sémélé, il avait de ce fait encouru la haine d’Héra. Sur son injonction, les Titans l’ont dépecé et ont mangé sa chair, et Zeus les a foudroyés, et de leur cendre a fait naître les hommes, qui portent le sceau de leur double nature : l’une porte la tache originelle, la faute primitive à l’origine de la déchéance de l’humanité. Mais ils ont aussi une parcelle divine, qu’il faut cultiver et libérer de sa prison terrestre par un ascétisme rigoureux.Voici ce qu’en dit le dictionnaire Daremberg & Saglio :
Elle est enfermée dans le corps, comme l’âme de Dionysos dans celui des Titans. « Salut à toi qui voyages sur la route de droite vers les prairies sacrées et le bois de Perséphone ». Il faut boire l’Eau de Mémoire pour que l’âme se réincarne. Au cours de ses transformations, l’âme se nourrit de ses expériences et entre elles trouve aux Enfers la mortification nécessaire à son épanouissement. Puis elle fusionne dans l’Éther où elle ne fait plus qu’un avec l’esprit divin. Seuls les initiés à l’Orphisme pouvaient prétendre à ce statut définitif. Dignité de l’homme, parcelle de la Divinité. Idée de tache et de chute originelle, de rachat possible et de rédemption, nécessié d’une vie religieuse : les Orphiques étaient tout désignés pour recevoir la prédication et la doctrine chrétienne.
Sur Pythagore, il faut lire le livre récent de Pierre Brémaud, Le dossier Pythagore (éditions Ellipses, 2010)
Pythagore, philosophe, chamane et mathématicien, né en 570 av. J-C à Samos et mort vers 510 en Sicile, passe pour un réformateur de l’orphisme. Pythagorisme et Orphisme sont parfois confondus tant leurs convergences sont grandes ; le maître de Pythagore, Phérékidès, avait été une grande figure de l’Orphisme. Pourtant, le pythagorisme pourrait être le pendant « scientifique », ou du moins rationnel, de l’orphisme.
Un tableau peut rendre compte à la fois de leur divergence et de leur ressemblance :
Orphisme | Pythagorisme |
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Une théogonie, concernant la généalogie des dieux Religion centrée sur la figure féminine de la Terre – chthonienne Besoin de salut personnel Aspiration à la pureté, crainte de la souillure Ascétisme Poésie cosmogonique et théogonique |
Une cosmogonie, premier balbutiement de la science. Religion centrée sur la figure d’Apollon, ouranien Souci de l’État et de la société Souci de morale et d’ordre civil Discipline sévère, culture morale fondée sur la morale et l’examen de conscience Recherche mathématique et astronomique |
Souci de la purification Tabous, notamment alimentaires, liés à la théorie de la transmigration des âmes Importance de la musique Refus des sacrifices sanglants, et donc des banquets rituels qui les accompagnent – d’où une certaine marginalité Pratique de l’art divinatoire par les songes |