Le texte commence par la présentation de l'île de Circé, Aiaié, sans que l'on sache quelle fut la durée de la navigation depuis le pays des Lestrygons, ni donc quelle est la distance parcourue ; ce qui renforce l'idée selon laquelle nous sommes dans un "autre monde", peuplé de dieux et de monstres.
Fille du Soleil et de Persé (ou Perséis), Circé est la sœur d'Aiétès, gardien de la Toison d'or et père de Médée. Hérédité chargée, puisqu'elle est aussi la sœur de Pasiphae, mère de Phèdre !
D'entrée de jeu, Circé apparaît redoutable : "la terrible déesse"...
Le séjour chez Circé se présente pourtant bien : après deux jours de repos, Ulysse part à la chasse, et ramène à son équipage un magnifique cerf, qui leur donne l'occasion d'un festin : bon vin et viande grillée, tout ce qui donne à la vie grecque sa saveur...
Vingt-deux hommes partent donc, sous la direction d'Euryloque, en reconnaissance ; la première chose qu'ils voient en arrivant, ce sont des animaux sauvages, anciens humains métamorphosés par la drogue de la magicienne ! Des animaux devenus bien inoffensifs...
Puis les guerriers, incités par le "sensé" Politès (quelle ironie !) tombent dans le piège de la déesse : séduits par sa voix et par son accueil, ils entrent, acceptent son breuvage... et se retrouvent transformés en porcs ! Seul Euryloque, leur chef, a pressenti le piège, et s'est échappé.
Euryloque ayant refusé de revenir chez Circé, Ulysse part seul chez la déesse ; en chemin, il rencontre Hermès qui lui donne du "molu" (ou "moly"), une herbe qui doit servir de contre-poison aux philtres de Circé. Comme prévu, Circé ne parvient pas à métamorphoser Ulysse ; en revanche, celui-ci la menace de son glaive, et elle le reconnaît. Elle veut l'entraîner vers son lit, mais jure auparavant, sur le Styx, qu'elle ne lui fera pas de mal. Elle accepte enfin de rendre leur apparence humaine aux compagnons d'Ulysse.
Ulysse part alors chercher le reste de son équipage ; Euryloque, une nouvelle fois, refuse de le suivre, déclenchant une violente colère d'Ulysse – qui doit néanmoins le laisser sur le bateau.
Et l'on apprend alors qu'Ulysse et ses compagnons vont rester "jusqu'au bout de l'année" chez Circé ! Ils ne repartent qu'au printemps suivant, lorsque revient la saison de la navigation.
Circé leur ordonne alors d'aller consulter les morts ; elle leur indique le chemin, et leur donne, avant leur départ, "un agneau et une brebis noire" pour le sacrifice.
La femme, c'est "l'autre" par excellence pour les guerriers, un personnage à la fois séduisant, fascinant et dangereux, toujours prêt à la perfidie : son accueil est un piège, les mets qu'elle offre sont des poisons, elle transforme les hommes en animaux, qu'elle dompte à sa convenance ; et seule l'aide d'un dieu permet à Ulysse d'échapper à ses enchantements. Pourtant, une fois vaincue, contrainte de céder à la force, elle se révèlera une hôtesse généreuse, et une aide précieuse... Circé porte en elle toute l'ambivalence de l' "autre", à la fois inquiétant et attirant.
Il arrivait souvent qu'une expédition maritime s'attarde trop pour rentrer au port : il fallait alors hiverner en terre étrangère ; Homère raconte ici comment Ulysse prend ses précautions, cachant ses haubans et sa cargaison (susceptible d'éveiller les convoitises) dans des grottes...
On a pu identifier l'île de Circé comme le "Monte Circeo", sur la côte tyrrhénienne, près de Terracine ; vue de la mer, cette montagne apparaît entourée d'eau.
On a même pu, par les effets produits par le breuvage de Circé, identifier la drogue dont se sert la magicienne : ce serait une sorte de datura, la stramoine ; tandis que le "moly" d'Hermès serait un perce-neige, Galanthus niualis...
La stramoine :
Le Galanthus niualis :
Dans son Périple d'Ulysse (p. 288-290), Jean Cuisenier offre une interprétation assez satisfaisant de cet épisode.
L'histoire de Circé connaîtra une longue prospérité, comme l'atteste la fable de La Fontaine intitulée "les compagnons d'Ulysse" (XII, 1)