ARISTOTE, LA RHÉTORIQUE.

  Tome 1

Aristote commence par définir la rhétorique : elle est proche de la dialectique, en ce sens qu'elle fonctionne par enthymèmes (syllagismes à deux termes, dont une prémisse est sous-entendue : « le courage, qui est une vertu, mérite des éloges » - prémisse : toute vertu mérite des éloges.

Dans le discours judiciaire notamment, l'enthymème est « la plus décisive des preuves ».

Rhétorique et dialectique sont proches : il faut être apte à persuader la thèse adverse, pour prévoir et contrer les arguments d'un adversaire. La fonction propre de la rhétorique n'est pas de persuader, comme la dialectique, mais de voir les moyens de persuader que comporte chaque sujet ; c'est un savoir-faire, une τεχνη.

Les preuves sont de deux types :

l     preuves extra-techniques (témoignages, aveux, écrits...) qu'il convient d'utiliser à bon escient, et que l'on trouve surtout dans l'éloquence judiciaire ;

l     preuves techniques, fournies par le discours lui-même, et qu'il faut inventer.

Aristote va donc énumérer, pour chaque type de discours, les lieux (τ?ποι) qui permettent, en fonction de l'émetteur, du destinataire, de la situation d'énonciation, et du type de discours, d'emporter la conviction.

Les genres oratoires sont au nombre de 3 :

 

Délibératif

Judiciaire

Epidictique

Porte sur...

l'avenir

Le passé

Le présent

S'adresse aux...

Membres d'une assemblée

juges

Spectateurs

Fonction

Conseiller / déconseiller

Accusation / défense

Éloge / blâme

Fin

Utile / nuisible

Juste / injuste

Beau / laid

 

Il y a des  τοποι communs aux trois types de discours : ce qui est possible / impossible, petit / grand, individuel / universel...

Mais il y a surtout des prémisses spécifiques à chaque genre, qu'Aristote va énumérer :

« L'amplification est la mieux appropriée au genre épidictique, car il a pour matière des actions sur lesquelles tout le monde est d'accord ; il ne reste plus qu'à leur attribuer importance et beauté. Les exemples conviennent au genre délibératif ; car c'est d'après le passé que nous augurons et préjugeons l'avenir. Les enthymèmes s'approprient au genre judiciaire ; c'est l'acte sur lequel la lumière n'est pas faite, qui admet surtout la recherche de la cause et la démonstration. » (p. 114, 1368a)

[exemples : Aristote cite le cas d'un homme politique qui exige une garde ; un orateur citera plusieurs exemples, Pisistrate, etc. montrant que tous ceux qui par le passé ont réclamé une garde voulaient en fait la tyrannie ; on en induit que l'homme politique en question veut, lui aussi, devenir tyran... N'insistons pas sur le caractère spécieux de tels arguments, qui frisent le procès d'intention...]

Aristote s'intéresse successivement aux trois genres de discours ; mais attardons-nous un peu sur le genre judiciaire.

Il faut savoir que les jugements avaient lieu immédiatement, sans délibération préalable ; il était donc fondamental de persuader les juges...

Les preuves extra-techniques étaient, en fait assez secondaires, et la Rhétorique enseigne en fait comment les utiliser.

Elles sont au nombre de 5 :

Type

Utilisation

Les lois

Si elles vont dans le sens du plaideur, il faut les utiliser rigoureusement ; sinon, faire prévaloir les lois non-écrites sur les lois réelles !

Les dépositions de témoins

Les « témoins » peuvent être des poètes, des proverbes... Pour nous, argument d'autorité ; et on trouve toujours une citation qui abonde dans notre sens !

Les témoins plus récents peuvent être disqualifiés.

En cas de témoignage gênant sur les faits, ou d'absence de témoignage en notre faveur, trouver un témoin de moralité !

Les conventions

Si elles sont en notre faveur, elles ont valeur de loi.

Dans le cas contraire, elles sont changeantes, obtenues sous la contrainte, ou contraire aux lois...

Les déclarations sous la torture

Preuves absolues si elles vont dans le bon sens.

Sinon, montrer qu'elles n'ont aucune valeur, et dépendent en fait du courage ou de la résistance physique du torturé.

Les serments des parties

Trouver toujours d'excellentes raisons, selon les cas :

  • de prêter serment, ou de refuser

  • d'exiger un serment de l'adversaire, ou de ne pas le faire.

 

Dans ce tome I, la rhétorique n'est donc pas à proprement parler l'étude du langage, l'art des figures, mais seulement une réflexion sur les genres de discours, les contenus, et les moyens verbaux par lesquels faire triompher une cause, ou convaincre un auditoire : répertoire des «  τοποι », art d'utiliser la situation de discours : personnalité de l'orateur ou de son adversaire, arguments à faire valoir, techniques et stratégies argumentatives.

On est à la lisière de la politique (comment convaincre que telle décision est utile ?), de la morale... Mais la rhétorique est, en elle-même, parfaitement amorale : elle ne se veut qu'un répertoire de techniques, selon le seul critère de l'efficacité.