Sophocle, Philoctète.

Ulysse et Néoptolème débarquent sur l’île déserte où Philoctète a été abandonné. Il s’agit de le ramener à Troie, car il détient l’arc d’Héraclès, indispensable aux Achéens pour prendre la ville.

Néoptolème se prête d’abord à la ruse d’Ulysse (qui joue un bien vilain rôle…) puis, pris de honte, avoue la vérité à Philoctète. Celui-ci refuse alors de suivre les Achéens… jusqu’à l’apparition d’Héraclès en personne, qui le convainc. 

Les malheurs de Philoctète (1er épisode, v. 254-316)

 

 

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ΦΙΛΟΚΤΗΤΗΣ

Ὦ πόλλ´ ἐγὼ μοχθηρός, ὦ πικρὸς θεοῖς,

οὗ μηδὲ κληδὼν ὧδ´ ἔχοντος οἴκαδε

μηδ´ Ἑλλάδος γῆς μηδαμοῦ διῆλθέ που,

ἀλλ´ οἱ μὲν ἐκβαλόντες ἀνοσίως ἐμὲ

γελῶσι σῖγ´ ἔχοντες, ἡ δ´ ἐμὴ νόσος

ἀεὶ τέθηλε κἀπὶ μεῖζον ἔρχεται.

Ὦ τέκνον, ὦ παῖ πατρὸς ἐξ Ἀχιλλέως,

ὅδ´ εἴμ´ ἐγώ σοι κεῖνος, ὃν κλύεις ἴσως

τῶν Ἡρακλείων ὄντα δεσπότην ὅπλων,

ὁ τοῦ Ποίαντος παῖς Φιλοκτήτης, ὃν οἱ

δισσοὶ στρατηγοὶ χὠ Κεφαλλήνων ἄναξ

ἔρριψαν αἰσχρῶς ὧδ´ ἔρημον, ἀγρίᾳ

νόσῳ καταφθίνοντα, τῇδ´, ἀνδροφθόρου

πληγέντ´ ἐχίδνης ἀγρίῳ χαράγματι,

ξὺν ᾗ μ´ ἐκεῖνοι, παῖ, προθέντες ἐνθάδε

ᾤχοντ´ ἔρημον, ἡνίκ´ ἐκ τῆς ποντίας

Χρύσης κατέσχον δεῦρο ναυβάτῃ στόλῳ.

Τότ´ ἄσμενοί μ´ ὡς εἶδον ἐκ πολλοῦ σάλου

εὕδοντ´ ἐπ´ ἀκτῆς ἐν κατηρεφεῖ πέτρῳ,

ῥάκη προθέντες βαιὰ καί τι καὶ βορᾶς

λιπόντες ᾤχονθ´, οἷα φωτὶ δυσμόρῳ

ἐπωφέλημα σμικρόν· οἷ´ αὐτοῖς τύχοι.

Σὺ δή, τέκνον, ποίαν μ´ ἀνάστασιν δοκεῖς

αὐτῶν βεβώτων ἐξ ὕπνου στῆναι τότε;

ποῖ´ ἐκδακρῦσαι, ποῖ´ ἀποιμῶξαι κακά;

ὁρῶντα μὲν ναῦς ἃς ἔχων ἐναυστόλουν

πάσας βεβώσας, ἄνδρα δ´ οὐδέν´ ἔντοπον,

οὐχ ὅστις ἀρκέσειεν, οὐδ´ ὅστις νόσου

κάμνοντι συλλάβοιτο, πάντα δὲ σκοπῶν

ηὕρισκον οὐδὲν πλὴν ἀνιᾶσθαι παρόν,

τούτου δὲ πολλὴν εὐμάρειαν, ὦ τέκνον.

Ὁ μὲν χρόνος δὴ διὰ χρόνου προὔβαινέ μοι,

κἄδει τι βαιᾷ τῇδ´ ὑπὸ στέγῃ μόνον

διακονεῖσθαι· γαστρὶ μὲν τὰ σύμφορα

τόξον τόδ´ ἐξηύρισκε, τὰς ὑποπτέρους

βάλλον πελείας· πρὸς δὲ τοῦθ´ ὅ μοι βάλοι

νευροσπαδὴς ἄτρακτος, αὐτὸς ἂν τάλας

εἰλυόμην, δύστηνον ἐξέλκων πόδα,

πρὸς τοῦτ´ ἄν· εἴ τ´ ἔδει τι καὶ ποτὸν λαβεῖν,

καί που πάγου χυθέντος, οἷα χείματι,

ξύλον τι θραῦσαι, ταῦτ´ ἂν ἐξέρπων τάλας

ἐμηχανώμην· εἶτα πῦρ ἂν οὐ παρῆν,

ἀλλ´ ἐν πέτροισι πέτρον ἐκτρίβων, μόλις

ἔφην´ ἄφαντον φῶς, ὃ καὶ σῴζει μ´ ἀεί.

Οἰκουμένη γὰρ οὖν στέγη πυρὸς μέτα

πάντ´ ἐκπορίζει πλὴν τὸ μὴ νοσεῖν ἐμέ.

Φέρ´, ὦ τέκνον, νῦν καὶ τὸ τῆς νήσου μάθῃς.

Ταύτῃ πελάζει ναυβάτης οὐδεὶς ἑκών·

οὐ γάρ τις ὅρμος ἔστιν, οὐδ´ ὅποι πλέων

ἐξεμπολήσει κέρδος ἢ ξενώσεται.

Οὐκ ἐνθάδ´ οἱ πλοῖ τοῖσι σώφροσιν βροτῶν.

Τάχ´ οὖν τις ἄκων ἔσχε· πολλὰ γὰρ τάδε

ἐν τῷ μακρῷ γένοιτ´ ἂν ἀνθρώπων χρόνῳ.

Οὗτοί μ´, ὅταν μόλωσιν, ὦ τέκνον, λόγοις

ἐλεοῦσι μέν, καί πού τι καὶ βορᾶς μέρος

προσέδοσαν οἰκτίραντες, ἤ τινα στολήν·

ἐκεῖνο δ´ οὐδείς, ἡνίκ´ ἂν μνησθῶ, θέλει,

σῶσαί μ´ ἐς οἴκους, ἀλλ´ ἀπόλλυμαι τάλας

ἔτος τόδ´ ἤδη δέκατον ἐν λιμῷ τε καὶ

κακοῖσι βόσκων τὴν ἀδηφάγον νόσον.

Τοιαῦτ´ Ἀτρεῖδαί μ´ ἥ τ´ Ὀδυσσέως βία,

ὦ παῖ, δεδράκας´, οἷ´ Ὀλύμπιοι θεοὶ

δοῖέν ποτ´ αὐτοῖς ἀντίποιν´ ἐμοῦ παθεῖν.

PHILOCTÈTE :

Ah ! faut-il que je sois misérable et haï des dieux, si le bruit même de l’état où je suis n’est pas arrivé jusqu’à mon pays, ni nulle part ailleurs en Grèce, et si ceux qui m’ont rejeté de si criminelle façon se rient en silence de moi, tandis que mon malheur ne cesse de croître et de s’épanouir. Ô mon enfant, ô fils d’Achille, je suis celui-là même dont tu as peut-être entendu dire qu’il est le possesseur des armes d’Héraklès, Philoctète, fils de Péas, que les deux chefs de notre armée, ainsi que le roi des Céphaloniens ont jeté ici ignominieusement, abandonnné de tous, alors qu’il se mourait de ce mal féroce qu’avait férocement imprimé dans sa chair une vipère tueuse d’hommes. C’est en compagnie de ce mal, mon fils, qu’ils m’ont, en partant, laissé là, à l’abandon. J’avais touché ici au moment où mon navire revenait d’une expédition à Chrysé. Ils furent trop heureux alors de me voir, sortant d’une grosse mer, m’endormir sur la rive à l’abri d’un rocher¸et, sans me laisser rien que de pauvres hardes et quelque nourriture, ils partirent en m’abandonnant. Pour un malheureux c’est un piètre secours. Puissent-ils un jour en avoir autant !... Mais toi, mon enfant, t’imagines-tu mon réveil, quand après leur départ je sortis du sommeil : combien je versai de larmes, combien j’exhalai de plaintes ? Je trouvais les vaisseaux avec lesquels j’avais navigués tous partis, et aucun homme ici qui pût me secourir, ni qui pût prendre part à ma peine lorsque je souffrais, mais regardant tout, je ne trouvais rien que matière à souffrir, mais de cela en grande abondance, mon enfant. Le temps pour moi succédait au temps, et il fallait que seul je songe à tout, sous cet humble toit. Pour me nourrir, cet arc me fournissait le nécessaire, frappant les ramiers en plein vol ;  après quoi, vers le gibier qu’avait atteint le trait jailli de la corde tendue, je me traînais moi-même, misérable, en tirant ma pauvre jambe, jusqu’à lui. Et s’il me fallait trouver de quoi boire, ou l’hiver, quand partout s’étend le givre, un peu de bois à casser, je m’évertuais, malheureux, à me traîner pour en chercher. Après quoi, le feu manquant, j’avais à frotter une pierre contre une pierre, pour en faire à grand-peine jaillir la flamme cachée, qui demeure ma sauvegarde. Le gîte que j’habite, avec le feu me fournit tout, excepté la guérison. Hé bien maintenant, mon enfant, apprends quelle est cette île. Aucun marin ne l’approche de son plein gré ; elle n’a pas de mouillage, elle n’offre aucun point où celui qui aborde puisse commercer ou être reçu en hôte. Ce n’est pas un but pour les marins avisés. On peut y toucher malgré soi ; ce sont des choses fréquentes dans le long temps des vies humaines. Mais ceux qui y viennent, mon enfant, ont pitié de moi en paroles, et parfois, pris de compassion, me donnent un peu de nourriture, ou quelque vêtement ; mais personne ne veut, lorsque je lui en parle, me ramener vers mon pays, mais je meurs ainsi, malheureux, depuis dix ans dans la faim, et les douleurs en entretenant une maladie dévorante. Voilà ce que m’ont fait les Atrides et la force d’Ulysse, mon enfant ; que les dieux de l’Olympe leur donne un jour de subir des maux qui me vengeront !

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La prédiction d’Hélénos 

Un messager raconte à Néoptolème comment, à la suite d’une prédiction d’Hélénos, Ulysse s’est fait fort de ramener Philoctète de Lemnos – où les Grecs l’avaient abandonné – à Troie, pour assurer la prise de la ville. 

 

 

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Le Messager :

                           Μντις ν τις εγενς,

Πριμου μν υἰός, νομα δ’νομζετο

λενος, ν οτος νυκτς ξελθν μνος,

πντ’ κοων ασχρ κα λωβτ’ πη

δλιος δυσσες ελε, δσμιν τ’ γων

δειξ’ χαιος ς μσον, θραν καλν·

ς δ τ τ’ λλ’ ατοσι πντ’ θσπισε,

κα τπ Τροίᾳ πργαμ’ ς ο μ ποτε

πρσοιεν, ε μ τνδε[1][1] πεσαντες λγ

γοιντο νσου τσδ’ φ’ ς ναει τ νν.

Κα ταθ’ πως κουσ’ Λαρτου τκος

τν μντιν επντ’, εθως πσχετο

τν νδρ’ χαιος τνδε δηλσειν γων·

οοιτο μν μλισθ’ κοσιον λαβν,

ε μ θλοι δ’, κοντα· κα τοτων κρα

τμνειν φετο τ θλοντι μ τυχν.

κουσας, πα, πντα· τ σπεδειν δ σοι

κατ παραιν κε τινος κδ πρι.

 

Philoctète :

Ομοι τλας· κενος, πσα βλβη,

μες χαιος μοσεν πεσας στελεν ;

Πεισθσομαι γρ δε κξ ιδου θανν

πρς φς νελθεν, σπερ οκενου πατρ[2][2]

Sophocle, Philoctète, v. 604-625.

Corrigé.

Le Messager :

V. 604-613 :

C’était un noble devin, fils de Priam, et il s’appelait de son nom Hélénos ; le rusé Ulysse, se promenant seul dans la nuit, entendant toutes ses paroles honteuses et injurieuses, le prit, et l’amenant lié, le montra au milieu des Achéens, belle proie.

Celui-ci, entre toutes les prédictions qu’il leur fit, dit que jamais ils ne détruiraient la Citadelle de Troie s’ils ne ramenaient pas l’homme que voici [= Philoctète], après l’avoir persuadé par la parole, de l’île où il habitait maintenant. 

V. 614-621 :

Et lorsque le fils de Laërte eut entendu ce que disait le devin, aussitôt il proposa aux Achéens de [mot à mot : leur montrer cet homme en le conduisant] ramener cet homme pour le leur présenter. Il pensait surtout le prendre de son plein gré, mais s’il ne voulait pas, de force. Et s’il ne réussissait pas, il livrerait sa tête à couper à celui d’entre eux qui voudrait. Tu as tout entendu, mon enfant ; je te conseille de te hâter, à toi-même, et à celui dont tu te préoccupes. 

Philoctète (v. 622-625)

Hélas, malheureux que je suis ! Ainsi cet homme, cet être malfaisant, a juré de m’envoyer chez les Achéens après m’avoir convaincu ? En effet, c’est comme cela que je serai convaincu, une fois mort, de remonter de l’Hadès vers la lumière, comme l’a fait son père !

 



[1][1] Désigne Philoctète, qui assiste à la scène[1]
[2] Ulysse passait pour un descendant de Sisyphe, qui grâce à une ruse avait réussi à remonter des Enfers.