Sophocle, Philoctète.
Ulysse et Néoptolème débarquent sur l’île déserte où Philoctète a été abandonné. Il s’agit de le ramener à Troie, car il détient l’arc d’Héraclès, indispensable aux Achéens pour prendre la ville.
Néoptolème se prête d’abord à la ruse d’Ulysse (qui
joue un bien vilain rôle…) puis, pris de honte, avoue la vérité à Philoctète.
Celui-ci refuse alors de suivre les Achéens… jusqu’à l’apparition d’Héraclès en
personne, qui le convainc.
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ΦΙΛΟΚΤΗΤΗΣ Ὦ πόλλ´ ἐγὼ
μοχθηρός, ὦ
πικρὸς θεοῖς, οὗ μηδὲ
κληδὼν ὧδ´ ἔχοντος
οἴκαδε μηδ´ Ἑλλάδος
γῆς μηδαμοῦ διῆλθέ
που, ἀλλ´ οἱ μὲν
ἐκβαλόντες ἀνοσίως
ἐμὲ γελῶσι σῖγ´
ἔχοντες, ἡ δ´ ἐμὴ
νόσος ἀεὶ τέθηλε
κἀπὶ μεῖζον ἔρχεται.
Ὦ τέκνον, ὦ
παῖ πατρὸς ἐξ Ἀχιλλέως,
ὅδ´ εἴμ´ ἐγώ
σοι κεῖνος, ὃν
κλύεις ἴσως τῶν Ἡρακλείων
ὄντα δεσπότην ὅπλων,
ὁ τοῦ Ποίαντος
παῖς Φιλοκτήτης,
ὃν οἱ δισσοὶ
στρατηγοὶ χὠ
Κεφαλλήνων ἄναξ
ἔρριψαν
αἰσχρῶς ὧδ´ ἔρημον,
ἀγρίᾳ νόσῳ
καταφθίνοντα,
τῇδ´, ἀνδροφθόρου
πληγέντ´ ἐχίδνης
ἀγρίῳ χαράγματι,
ξὺν ᾗ μ´ ἐκεῖνοι,
παῖ, προθέντες ἐνθάδε
ᾤχοντ´ ἔρημον,
ἡνίκ´ ἐκ τῆς
ποντίας Χρύσης
κατέσχον δεῦρο
ναυβάτῃ στόλῳ.
Τότ´ ἄσμενοί
μ´ ὡς εἶδον ἐκ
πολλοῦ σάλου εὕδοντ´ ἐπ´
ἀκτῆς ἐν
κατηρεφεῖ πέτρῳ,
ῥάκη
προθέντες βαιὰ
καί τι καὶ βορᾶς
λιπόντες
ᾤχονθ´, οἷα φωτὶ
δυσμόρῳ ἐπωφέλημα
σμικρόν· οἷ´ αὐτοῖς
τύχοι. Σὺ δή, τέκνον,
ποίαν μ´ ἀνάστασιν
δοκεῖς αὐτῶν
βεβώτων ἐξ ὕπνου
στῆναι τότε; ποῖ´ ἐκδακρῦσαι,
ποῖ´ ἀποιμῶξαι
κακά; ὁρῶντα μὲν
ναῦς ἃς ἔχων ἐναυστόλουν
πάσας
βεβώσας, ἄνδρα
δ´ οὐδέν´ ἔντοπον,
οὐχ ὅστις
ἀρκέσειεν, οὐδ´
ὅστις νόσου κάμνοντι
συλλάβοιτο, πάντα
δὲ σκοπῶν ηὕρισκον
οὐδὲν πλὴν ἀνιᾶσθαι
παρόν, τούτου δὲ
πολλὴν εὐμάρειαν,
ὦ τέκνον. Ὁ μὲν χρόνος
δὴ διὰ χρόνου
προὔβαινέ μοι, κἄδει τι
βαιᾷ τῇδ´ ὑπὸ
στέγῃ μόνον διακονεῖσθαι·
γαστρὶ μὲν τὰ
σύμφορα τόξον τόδ´
ἐξηύρισκε, τὰς
ὑποπτέρους βάλλον
πελείας· πρὸς
δὲ τοῦθ´ ὅ μοι βάλοι
νευροσπαδὴς
ἄτρακτος, αὐτὸς
ἂν τάλας εἰλυόμην,
δύστηνον ἐξέλκων
πόδα, πρὸς τοῦτ´
ἄν· εἴ τ´ ἔδει
τι καὶ ποτὸν
λαβεῖν, καί που πάγου
χυθέντος, οἷα
χείματι, ξύλον τι
θραῦσαι, ταῦτ´ ἂν
ἐξέρπων τάλας ἐμηχανώμην·
εἶτα πῦρ ἂν οὐ
παρῆν, ἀλλ´ ἐν πέτροισι
πέτρον ἐκτρίβων,
μόλις ἔφην´ ἄφαντον
φῶς, ὃ καὶ σῴζει
μ´ ἀεί. Οἰκουμένη
γὰρ οὖν στέγη
πυρὸς μέτα πάντ´ ἐκπορίζει
πλὴν τὸ μὴ
νοσεῖν ἐμέ. Φέρ´, ὦ τέκνον,
νῦν καὶ τὸ τῆς
νήσου μάθῃς. Ταύτῃ
πελάζει ναυβάτης
οὐδεὶς ἑκών· οὐ γάρ
τις ὅρμος ἔστιν,
οὐδ´ ὅποι πλέων
ἐξεμπολήσει
κέρδος ἢ ξενώσεται.
Οὐκ ἐνθάδ´
οἱ πλοῖ τοῖσι
σώφροσιν βροτῶν.
Τάχ´ οὖν
τις ἄκων ἔσχε·
πολλὰ γὰρ τάδε
ἐν τῷ
μακρῷ γένοιτ´ ἂν
ἀνθρώπων χρόνῳ.
Οὗτοί μ´, ὅταν
μόλωσιν, ὦ τέκνον,
λόγοις ἐλεοῦσι
μέν, καί πού τι
καὶ βορᾶς μέρος
προσέδοσαν
οἰκτίραντες, ἤ
τινα στολήν· ἐκεῖνο δ´
οὐδείς, ἡνίκ´ ἂν
μνησθῶ, θέλει, σῶσαί μ´ ἐς
οἴκους, ἀλλ´ ἀπόλλυμαι
τάλας ἔτος τόδ´ ἤδη
δέκατον ἐν λιμῷ
τε καὶ κακοῖσι
βόσκων τὴν ἀδηφάγον
νόσον. Τοιαῦτ´ Ἀτρεῖδαί
μ´ ἥ τ´ Ὀδυσσέως
βία, ὦ παῖ,
δεδράκας´, οἷ´ Ὀλύμπιοι
θεοὶ δοῖέν
ποτ´ αὐτοῖς ἀντίποιν´
ἐμοῦ παθεῖν. |
Ah ! faut-il que je sois misérable et haï des dieux, si le bruit
même de l’état où je suis n’est pas arrivé jusqu’à mon pays, ni nulle part
ailleurs en Grèce, et si ceux qui m’ont rejeté de si criminelle façon se
rient en silence de moi, tandis que mon malheur ne cesse de croître et de
s’épanouir. Ô mon enfant, ô fils d’Achille, je suis celui-là même dont tu as
peut-être entendu dire qu’il est le possesseur des armes d’Héraklès,
Philoctète, fils de Péas, que les deux chefs de notre armée, ainsi que le roi
des Céphaloniens ont jeté ici ignominieusement, abandonnné de tous, alors
qu’il se mourait de ce mal féroce qu’avait férocement imprimé dans sa chair
une vipère tueuse d’hommes. C’est en compagnie de ce mal, mon fils, qu’ils
m’ont, en partant, laissé là, à l’abandon. J’avais touché ici au moment où
mon navire revenait d’une expédition à Chrysé. Ils furent trop heureux alors
de me voir, sortant d’une grosse mer, m’endormir sur la rive à l’abri d’un
rocher¸et, sans me laisser rien que de pauvres hardes et quelque nourriture,
ils partirent en m’abandonnant. Pour un malheureux c’est un piètre secours.
Puissent-ils un jour en avoir autant !... Mais toi, mon enfant,
t’imagines-tu mon réveil, quand après leur départ je sortis du sommeil :
combien je versai de larmes, combien j’exhalai de plaintes ? Je trouvais
les vaisseaux avec lesquels j’avais navigués tous partis, et aucun homme ici
qui pût me secourir, ni qui pût prendre part à ma peine lorsque je souffrais,
mais regardant tout, je ne trouvais rien que matière à souffrir, mais de cela
en grande abondance, mon enfant. Le temps pour moi succédait au temps, et il
fallait que seul je songe à tout, sous cet humble toit. Pour me nourrir, cet
arc me fournissait le nécessaire, frappant les ramiers en plein
vol ; après quoi, vers le gibier
qu’avait atteint le trait jailli de la corde tendue, je me traînais moi-même,
misérable, en tirant ma pauvre jambe, jusqu’à lui. Et s’il me fallait trouver
de quoi boire, ou l’hiver, quand partout s’étend le givre, un peu de bois à
casser, je m’évertuais, malheureux, à me traîner pour en chercher. Après
quoi, le feu manquant, j’avais à frotter une pierre contre une pierre, pour
en faire à grand-peine jaillir la flamme cachée, qui demeure ma sauvegarde.
Le gîte que j’habite, avec le feu me fournit tout, excepté la guérison. Hé
bien maintenant, mon enfant, apprends quelle est cette île. Aucun marin ne
l’approche de son plein gré ; elle n’a pas de mouillage, elle n’offre
aucun point où celui qui aborde puisse commercer ou être reçu en hôte. Ce
n’est pas un but pour les marins avisés. On peut y toucher malgré soi ;
ce sont des choses fréquentes dans le long temps des vies humaines. Mais ceux
qui y viennent, mon enfant, ont pitié de moi en paroles, et parfois, pris de
compassion, me donnent un peu de nourriture, ou quelque vêtement ; mais
personne ne veut, lorsque je lui en parle, me ramener vers mon pays, mais je
meurs ainsi, malheureux, depuis dix ans dans la faim, et les douleurs en entretenant
une maladie dévorante. Voilà ce que m’ont fait les Atrides et la force
d’Ulysse, mon enfant ; que les dieux de l’Olympe leur donne un jour de
subir des maux qui me vengeront ! |
Un messager raconte à Néoptolème comment, à la suite d’une
prédiction d’Hélénos, Ulysse s’est fait fort de ramener Philoctète de Lemnos –
où les Grecs l’avaient abandonné – à Troie, pour assurer la prise de la ville.
605 610 615 620 625 |
Le Messager : Μάντις
ἦν τις εὐγενής, Πριάμου μὲν υἰός, ὄνομα
δ’ὠνομάζετο Ἕλενος, ὃν οὗτος νυκτὸς ἐξελθὼν μόνος, ὁ πάντ’
ἀκούων αἰσχρὰ καὶ λωβήτ’ ἔπη δόλιος
Ὀδυσσεὺς εἷλε, δέσμιόν τ’ ἄγων ἔδειξ’ Ἀχαιοῖς ἐς
μέσον, θήραν καλήν· ὃς δὴ τά
τ’ ἄλλ’ αὐτοῖσι πάντ’ ἐθέσπισε, καὶ τἀπὶ Τροίᾳ πέργαμ’
ὡς οὐ μή
ποτε πέρσοιεν,
εἰ μὴ
τόνδε[1][1]
πείσαντες λόγῳ ἄγοιντο νήσου τῆσδ’ ἐφ’ ἧς
ναίει τὰ νῦν. Καὶ ταῦθ’ ὅπως
ἤκουσ’ ὁ Λαέρτου τόκος τὸν
μάντιν εἰπόντ’,
εὐθέως
ὑπέσχετο τὸν
ἄνδρ’ Ἀχαιοῖς τόνδε δηλώσειν ἄγων· οἴοιτο
μὲν μάλισθ’ ἑκούσιον λαβών, εἰ
μὴ θέλοι
δ’, ἄκοντα·
καὶ τούτων κάρα τέμνειν
ἐφεῖτο τῷ θέλοντι
μὴ τυχών. Ἤκουσας, ὦ παῖ, πάντα·
τὸ σπεύδειν δέ σοι καὐτῷ
παραινῶ
κεἴ τινος κήδῃ
πέρι. Philoctète : Οἴμοι
τάλας· ἧ κεῖνος, ἡ πᾶσα
βλάβη, ἔμ’ εἰς Ἀχαιοὺς ὤμοσεν
πείσας
στελεῖν ; Πεισθήσομαι γὰρ ὦδε
κἀξ Ἅιδου
θανὼν πρὸς φῶς ἀνελθεῖν, ὥσπερ οὑκείνου πατήρ[2][2]. Sophocle, Philoctète, v. 604-625. |
Le
Messager :
V. 604-613 :
C’était
un noble devin, fils de Priam, et il s’appelait de son nom Hélénos ; le
rusé Ulysse, se promenant seul dans la nuit, entendant toutes ses paroles
honteuses et injurieuses, le prit, et l’amenant lié, le montra au milieu des
Achéens, belle proie.
Celui-ci,
entre toutes les prédictions qu’il leur fit, dit que jamais ils ne détruiraient
la Citadelle de Troie s’ils ne ramenaient pas l’homme que voici [= Philoctète],
après l’avoir persuadé par la parole, de l’île où il habitait maintenant.
V. 614-621 :
Et
lorsque le fils de Laërte eut entendu ce que disait le devin, aussitôt il
proposa aux Achéens de [mot à mot : leur montrer cet homme en le
conduisant] ramener cet homme pour le leur présenter. Il pensait surtout le
prendre de son plein gré, mais s’il ne voulait pas, de force. Et s’il ne
réussissait pas, il livrerait sa tête à couper à celui d’entre eux qui
voudrait. Tu as tout entendu, mon enfant ; je te conseille de te hâter, à
toi-même, et à celui dont tu te préoccupes.
Philoctète (v. 622-625)
Hélas, malheureux que je suis ! Ainsi cet homme, cet être malfaisant, a juré de m’envoyer chez les Achéens après m’avoir convaincu ? En effet, c’est comme cela que je serai convaincu, une fois mort, de remonter de l’Hadès vers la lumière, comme l’a fait son père !
[1][1] Désigne Philoctète, qui assiste à la
scène[1]
[2] Ulysse passait pour un descendant
de Sisyphe, qui grâce à une ruse avait réussi à remonter des Enfers.