Extrait de l'œuvre

Le jeune homme et l'écrivain

Pluie à travers une vitreInformations[1]

Dans mon bureau, un crépuscule sale avait investi les angles. La lampe posée sur la table ne suffisait pas à dissiper la pénombre montante ; du jeune homme je ne voyais qu'une nuque fine et blanche, penchée sur l'inévitable atlas qui l'attirait dans mon cabinet de travail. Ce jour-là, pourtant, il leva la tête, délaissant sa page.

"Nozha ne vous ressemble pas", dit-il.

Je lui indiquai d'un hochement de tête un portrait accroché au mur. "Elle est blonde comme sa mère."

Il se posta devant la photo, la contempla. "Je parlais du caractère, vous ne parlez pas beaucoup, Nozha n'arrête pas de poser des questions."

Je repris dans un rire "Elle les pose puis y répond, comme les rues à sens unique."

Adel répliqua d'un ton ferme comme pour faire opposition à toute critique "Nozha m'a beaucoup aidé, je tiens à elle.

– Je suis heureux de l'apprendre."

Je ne trouvai pas de réponse plus adaptée à ce qui semblait être l'ébauche d'une confidence. Interroger le jeune homme sur l'aide que ma fille lui avait apportée aurait été perçu comme une intrusion dans le mutisme qu'il opposait, tel un écran, à mes tentatives de dialogue.

De longs instants passèrent, une pluie drue crépitait aux fenêtres, j'étais retourné à mon livre. Depuis que j'avais arrêté d'écrire, je consacrais mes après-midi à un volumineux traité de sociologie, déniché chez un bouquiniste ; l'ouvrage était une compilation de textes qui faisaient date mais je les découvrais avec délices.

La pluie avait redoublé de violence ; quand Adel se mit à parler, sa voix me parvint comme assourdie. "Je n'aime pas l'eau, je ne supporte plus la mer, voilà cinq ans que j'ai arrêté de me baigner." Il eut un petit rire. "Les bains de mer m'ennuient, ils sont tellement conventionnels !"

J'avais la réputation d'avoir de la répartie ; dans les joutes oratoires auxquelles je me trouvais mêlé, je parvenais à trouver le ton juste, celui qui accordait les violons. Ce soir-là, je ne dis rien au sujet des bains de mer. Sans doute craignais-je qu'un commentaire, un seul, n'ait raison des frêles confidences qu'Adel me livrait pour la première fois. J'attendis donc la suite.

Azza Fidali, "L'heure du cru", éditions Elyzad, Tunis, 2009, p. 60-62.