Liliade et l'Idassée - texte inédit

Installez-vous confortablement, détendez-vous. Votre respiration s'approfondit, devient plus ample, plus lente. Tout votre corps est présent. Vos jambes sont là, vos cuisses, vos fesses, votre ventre est là, vos hanches, vos côtes, votre poitrine est là et pas ailleurs, vous la gonflez en respirant, vous la dégonflez un peu en soupirant, vos épaules, vos bras sont là, vous êtes présent, le cou, la tête, les yeux qu'éventuellement vous fermez à demi, que vous pouvez fermer, ou bien les garder ouverts. Votre cœur est présent, et votre estomac, vos intestins, vos tripes comme on dit, et votre peau qui vous enveloppe. Votre bouche, votre sexe, les orteils, les phalanges, les cheveux. Sentez qu'à cet instant, cet instant qui se suspend, nulle tension ne vous dérange, nul poids ne pèse sur vous. Vous n'avez qu'un seul besoin, une seule envie, c'est d'être là pleinement et ensuite plus loin, ailleurs. La sérénité immerge tout votre présent. Vous êtes vous et vous êtes quelqu'un d'autre. Ne pensez plus à rien, acceptez la proximité d'un fleuve, sentez venir la proximité de la mer, voyez un miroitement d'eau douce puis laissez advenir un scintillement de gouttelettes d'eau salée, habitez votre beau visage tourné vers la lumière.

Votre beau visage de jeune fille. Vos beaux bras blancs de jeune fille. Vos beaux cheveux de jeune fille. Le calme remonte dans votre nuque jusqu'au sommet de votre tête. Vous vous sentez jeune, saine, vous vous sentez bien. Vous venez d'accomplir des activités paisibles. Vous avez fait tôt ce matin la lessive et votre linge étincelant de propreté est encore à ce moment en train de sécher au soleil. Voyez-vous, c'est tout ce qu'il y a de plus ordinaire. De plus simple. Le quotidien. Ni plus, ni moins. Vous êtes une jeune fille entourée d'autres jeunes filles de votre âge, vous avez quelque chose comme vingt-huit siècles de jeunesse et vous jouez à la balle avec vos amies, en toute confiance, gaiement. Vous avez tressé des couronnes solaires avec des fleurs de pissenlit. Vous avez tressé des couronnes lunaires avec des pâquerettes. Vous êtes là, chez vous.

Vous êtes chez vous, dans votre quotidien assuré et agréable, tout est apaisé, banal, tranquillement beau et normal. Et maintenant que vous êtes parvenu au maximum de votre réceptivité, je surgis. De nulle part. Sans prévenir. J'ai fait naufrage, accueillez-moi. Je vous demande asile et hospitalité. J'ai fait naufrage, j'ai échoué à vos portes. Je suis Ulysse. Même si je ne suis pas un homme. Naguère une jeune fille comme vous, c'est en tant que jeune fille que je suis venue. J'attrape la balle et je vous la renvoie, à vous de jouer. Ouvrez vos beaux bras blancs, vous et vos amies. Accueillez-moi. Je suis une naufragée. Une réfugiée.

Ce texte est un inédit [pdf] ; il a fait l'objet d'une série de lectures et d'ateliers d'écriture (dans le cadre d'un projet « Odyssée » des Subsistances – centre de danse contemporaine – à Lyon) en 2014.

Avec l'aimable autorisation de l'auteur.