Extrait de l'œuvre

Lucioles dans la nuit

Le mont Atacora, au nord du Bénin
Le mont Atacora, au nord du BéninInformations[1]

Ahouna, un jeune berger, se promène un soir avec Anatou, la jeune fille qu'il aime.

La nuit tombait. Le soleil, pareil à un grand disque couleur de sang, s'abîmait lentement derrière les montagnes, là-bas, au cœur des Baobabs. Une brume légère, bleue et diaphane, naissant de la terre, envahissait le pâturage en s'élevant vers la cime du Kinibaya. Les oiseaux se taisaient. Les bruits de la nuit, faibles et lointains, commençaient à s'emparer de l'espace. Nous déambulâmes longtemps dans le pâturage, avant de revenir sur nos pas : je proposai alors à Anatou de venir faire un tour dans notre abri : elle accepta et nous grimpâmes les marches de l'escalier, arrivâmes dans la chaumière juchée sur pilotis et nous y assîmes, face à la montagne. Concert à la fois grave et strident des grillons tout le long de la montagne. Des coassements de grenouilles et de crapauds nous parvenaient d'un marigot qui n'est guère loin du Kinibaya.

« Regarde, Ahouna ! » me dit, soudain, Anatou en tendant le doigt devant elle, dans la brume s'épaississant à mesure que la nuit se précisait.

L'espace était sans cesse sillonné de petits feux, d'infimes étincelles bleu pâle dont je percevais déjà la douce fraîcheur. Elles se dirigeaient toutes vers le Kinibaya, s'y posaient et continuaient de briller, se multipliaient dans l'espace, s'accumulaient sur le flanc de la montagne, et l'envahirent du pied jusqu'à la cime avec une étonnante rapidité. Bientôt tout Kinibaya n'était qu'étincelles, car il s'agissait d'une véritable armée de lucioles qui semblaient s'être donné rendez-vous là pour nous offrir le sublime spectacle auquel nous assistions.

Nous descendîmes de notre perchoir et nous dirigeâmes vers l'éminence ainsi illuminée ; nous y grimpâmes avec mille précautions de peur d'écraser la moindre luciole. De là-haut, nous aperçûmes les feux des Baobabs, des Caïlcédrats, des Kapokiers et de bien d'autres villages. Debout dans l'espace tel un couple de divinités surgies de la matrice de la terre, nous admirâmes longuement ce monde de vers luisants qui semblaient traduire avec naïveté ce qu'il y avait de naturellement profond et pur dans les sentiments que, réciproquement, Anatou et moi éprouvions l'un pour l'autre.

Olympe Bhêly-Quenum,"Un piège sans fin", éditions Présence Africaine, Paris, 1985, p. 102-103.