Extrait de l'œuvre

Guerre enfantine à Fès...

Fès (Maroc)Informations[1]

Le territoire de Namouss est un mouchoir de poche. Il se limite au quartier des Kairouanais, et encore. Quant à l'autre quartier, celui des Andalous, Namouss n'y a pour ainsi dire jamais mis les pieds. Pour lui, comme pour 1a plupart de ses camarades, c'est presque un pays étranger où il ne fait pas bon s'aventurer. Là-bas vivent des bandes d'enfants hostiles qu'on ne rencontre que lors de batailles sporadiques. Quand elle a lieu, la guerre interquartiers s'organise selon un protocole digne d'armées régulières. Un émissaire est envoyé à l'autre camp, porteur de la déclaration belliqueuse, proposant 1a date et le terrain de la bataille, précisant aussi la nature des armes qui devront être utilisées, généralement ceintures et/ou cailloux, sans parler des techniques de lutte au moment du corps à corps – le coup de tête, jugé dangereux, est autorisé ou non selon les circonstances. L'état-major autoproclamé du quartier commence alors à élaborer la stratégie et à sélectionner les recrues. Namouss, qui entre à peine dans la catégorie des poids plume, ne fait pas partie des enfants appelés sous les drapeaux. Même si de menues tâches lui sont confiées lors des préparatifs, il doit se contenter, au moment des affrontements, du rôle de spectateur.

Abdellatif Laâbi, "Le Fond de la jarre", Gallimard, collection "Folio" n° 5104, 2002, p. 101-102.