Extrait de l'œuvre

Une rue d'AbidjanInformations[1]

Fama se commanda de continuer et traversa la rue. Un bout de temps éloignait encore de l'heure de la quatrième prière, le temps de marcher vite et d'arriver à la mosquée. Il évita deux taxis, tourna à droite, contourna un carré, déboucha sur le trottoir droit de l'avenue centrale et se mêla à la foule coulant vers le marché. Là, entre les toits, apparaissaient divers cieux : le tourmenté par les vents qui arrachaient des nuages pour les jeter sur le soleil déjà couvert et éteint, le bas épais et indigo montant de la mer et avançant sur les maisons et les arbres inquiets et tremblotants. L'orage était proche. Ville sale et gluante de pluies ! pourrie de pluies ! Ah ! nostalgie de la terre natale de Fama ! Son ciel profond et lointain, son sol aride mais solide, les jours toujours secs. Oh ! Horodougou ! tu manquais à cette ville et tout ce qui avait permis à Fama de vivre une enfance heureuse de prince manquait aussi (le soleil, l'honneur et l'or), quand au lever les esclaves palefreniers présentaient le cheval rétif pour la cavalcade matinale, quand à la deuxième prière les griots et les griottes chantaient la pérennité et la puissance des Doumboya, et qu'après, les marabouts récitaient et enseignaient le Coran, la pitié et l'aumône. Qui pouvait s'aviser alors d'apprendre à courir de sacrifice en sacrifice pour mendier ?

Ahmadou Kourouma, Les Soleils des indépendances, Paris, Seuil, 1970, p. 21.